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03 avril 2011

INTERVENIR DANS L’ESPRIT DE L’ÉDUCATION INTERCULTURELLE

Introduction

Le terme «éducation interculturelle» a fait son entrée officielle au Québec en 1983 avec l’Avis au Ministre produit par le Conseil Supérieur de l’Éducation (Mc Andrew, 2001). Plus près de nous, en 1997, le ministère de l’Éducation la définit comme étant «toute démarche éducative visant à faire prendre conscience de la diversité, particulièrement ethnoculturelle, qui caractérise le tissu social et à développer une compétence à communiquer avec des personnes aux référents divers, de même que des attitudes d’ouverture, de tolérance et de solidarité» (MEQ, 1997, p. 2).

Il s’agit donc là d’une exigence plus ou moins nouvelle pour laquelle, il faut bien l’avouer, les enseignants sont souvent peu préparés. Ce court texte n’a pas, bien entendu, la prétention de vider la question. Il vise plus modestement à dégager quelques principes qui pourraient guider les interventions professionnelles des enseignants.

Principes de bases pour l’éducation interculturelle

Avant de présenter les sept principes, il convient de spécifier que chacun d’eux ne doit pas être conçu comme étant autonome, séparé des autres. Au contraire, tous les principes sont inter-reliés et se font écho mutuellement.

Reconnaître l’humanité en chacun

Ce principe devrait tomber sous le sens et aujourd’hui être reconnu de tous. Pourtant, l’histoire du 20e siècle est truffée d’exemples où l’homme a cessé de voir l’Autre comme un semblable. «Respecter quelqu’un, respecter son histoire, c’est considérer qu’il appartient à la même humanité, et non pas à une humanité différente, à une humanité au rabais» (Maalouf, 1998, p. 124). À leur manière Porcher et Abdallah-Pretceille ne diront pas autre chose (1998, p. 21) : «L’humanité n’est pas en effet seulement le rassemblement de tous les hommes, morts ou vivants, elle est aussi, et de façon indissociable, l’essence même de chacune des individualités qui la composent. De ce point de vue, un homme vaut un homme et, à lui seul, vaut tous les autres». En d’autres termes, l’éducation interculturelle ne saurait souffrir quelques formes de racisme que ce soit (Kotek et Medhoune, 1998; Rojzman, 2001; Semprini, 1997; Sibony, 1997; Verbunt, 2001; Wieviorka, 1998).

Se connaître soi-même et connaître sa propre culture

Enseigner dans l’esprit de l’éducation interculturelle nécessite d’être conscient de ses propres cadres culturels (Barrette, Gaudet, Lemay, 1996). Il s’agit là du premier pas vers une sortie possible de notre ethnocentrisme : «si l’on convient qu’on enseigne ce que l’on est, il est alors probablement formateur pour tout enseignant de savoir qui il est, autant que faire se peut» (Belkaïd, 2002, p. 216). Pour ce faire, il faut d’abord s’assumer soi-même comme «produit» d’une culture (Akkari, 2002). Plus encore, ce principe nous invite à nous voir pluriel : «La diversité est constitutive de la nature de l’homme et la reconnaissance de sa propre diversité est une des conditions pour pouvoir reconnaître la diversité de l’Autre» (Porcher et Abdallah-Pretceille, 1998, p. 9). Il faut donc se penser pluriel, voir la diversité en nous : «Il serait bon donc de se méfier de la vision monoculturelle de soi, de son propre monde, de soi en tant qu’entité figée détachée du reste du monde et des autres. La «logique mono» prédomine quand il s’agit de la compréhension de nous-mêmes» (Belkaïd, 2002, p. 214).

S’ouvrir à la connaissance des «différences»

L’éducation interculturelle demande une curiosité envers la différence – que cette dernière s’exprime sous sa forme ethnique, culturelle, religieuse, linguistique ou autres – et ce, même si comme le dit Kattan (2001, p. 13) : «L’ouverture à l’autre semble porteuse de risques, surtout si l’autre est manifestement différent». À travers cette connaissance de l’altérité c’est d’ailleurs également moi que j’apprends à connaître : «L’apprentissage de l’ailleurs est toujours un apprentissage de soi» (Porcher et Abdallah-Pretceille, 1998, p. 145). Connaître la différence ici c’est moins pouvoir énumérer l’ensemble des traits culturels d’une communauté ou d’une société donnée que connaître l’élève et comprendre comment il donne sens à la situation qu’il vit : «Plus qu’à une connaissance des différences culturelles, c’est à une analyse des situations qu’il convient d’être formé. Si la connaissance de traits culturels n’est pas indispensable à l’acte pédagogique, il est nécessaire que le pédagogue prenne en compte l’intelligibilité que les élèves ont de la situation» (Abdallah-Pretceille, 1999, p. 74).

Accepter les différences

Si connaître est important, cela ne saurait être suffisant et le passé colonial de plusieurs sociétés occidentales démontre qu’il est possible de connaître sans accepter la différence, la connaissance servant alors à assimiler, à dominer ou à tenir l’Autre éloigné (Constant, 2000). L’éducation interculturelle exige au contraire que la connaissance se fasse dans un esprit d’ouverture bienveillante, sans paternalisme ni condescendance (Martineau, 2005). Accepter la différence n’est toutefois pas synonyme de renoncement à soi dans la mesure où l’ouverture aux autres ne requiert pas que l’on renie sa propre culture : «Si, à chaque pas que l’on fait, on a le sentiment de trahir les siens, et de se renier, la démarche en direction de l’autre est viciée» (Maalouf, 1998, p. 53). Ce principe est à mettre en relation avec le deuxième présenté plus haut à savoir que se connaître et s’ouvrir à l’Autre sont deux mouvements simultanés et en accord mutuel. J’apprends à me connaître en connaissant l’Autre, ce faisant j’apprends à identifier nos ressemblances et nos différences tout en me mettant au clair avec l’essentiel et l’accessoire dans ma propre culture (Abdallah-Pretceille et Porcher, 1996).

Suspendre provisoirement son jugement

Il s’agit ici de mettre en pratique une éthique de la communication et de permettre l’émergence des conditions optimales pour un dialogue dans l’optique où peut l’entendre Habermas (1986). Pour se faire, il est nécessaire de se mettre à l’écoute de l’autre et de chercher à le comprendre. On parlera alors d’empathie. L’éducation interculturelle n’a en effet de sens que dans la mesure où elle permet le mieux vivre ensemble. Or, la réalisation de cet idéal passe par la capacité de chacun à entrer en dialogue avec l’Autre. De ce dialogue naît un nouveau jugement plus réfléchi.

Faire son auto-analyse critique

Ce principe est une invitation à travailler à éliminer en soi les attitudes et les comportements qui nuisent à la prise en compte de l’autre et de sa différence. L’éducation interculturelle, on l’aura compris, est un processus de «décentration». Ayant appris à me connaître, ayant appris à connaître autrui, je suis en mesure d’identifier ce qui dans l’altérité de l’Autre est acceptable ou pas. Et, en ce cas, je suis aussi en mesure de savoir ce qui en moi, ou dans ma culture, résiste à l’altérité sans que cela soit légitime.

Favoriser le compromis et la négociation

L’éducation interculturelle est une éducation au dialogue. Bien que de la parole puisse surgir la violence, elle préfère les mots aux agressions physiques : «La puissance du mot peut contrecarrer la cruauté des gestes. Nous savons que dès que la parole est tue et que les mots cèdent, la violence surgit et s’installe» (Kattan, 2001, p. 84). La communication interculturelle étant tout à la fois échange de messages et négociation d’identités (Ogay, 2002), le dialogue doit en conséquence se dérouler en minimisant les frustrations et dans l’optique de trouver un champ commun où chacun peut tout de même conserver son identité (on pense à la notion d’accommodement raisonnable par exemple). Lorsqu’il y a rupture de communication, il n’y a plus de projet d’interculturalité (Perregaux, 2002).

Conclusion

En somme, si ces sept principes demeurent bien généraux, ils n’en tracent pas moins, nous semble-t-il, les grandes lignes de l’action enseignante en tant que médiateur non seulement entre les savoirs et l’élève, mais aussi entre l’école et les parents (Berthoud-Aghili, 2002; Clanet, 2002). En agissant en accord avec ces principes, l’enseignant témoigne en effet de leur importance et de leur pertinence. Plus spécifiquement, il cherche à développer chez ses élèves des compétences stratégiques qui leur permettent «d’analyser des situations communicatives de mixité socioculturelle et de participer de façon consciente et efficace à la communication» (Allemann-Ghionda, 2002, p. 175). À cet égard il semble que «l’analyse de situations concrètes d’ambiguïté culturelle et sociale et des sentiments que de telles situations peuvent engendrer joue un rôle primordial» (Allemann-Ghionda, 2002, p. 175) dans le développement de compétences sociales et communicatives favorables au vivre ensemble dans une société démocratique et pluraliste (Lavallée et Marquis, 1999).

Bibliographie

ABDALLAH-PRETCEILLE, M. (1999). L’éducation interculturelle. Paris : PUF, coll. Que sais-je ?

ABDALLAH-PRETCEILLE, M. et PORCHER, L. (1996). Éducation et communication interculturelle. Paris : PUF.

AKKARI, A. (2002). Au-delà de l’ethnocentrisme en sciences de l’éducation. Dans P.R. Dasen et C. Perregaux (Éds.) Pourquoi des approches interculturelles en sciences de l’éducation ? (p. 31-48). Bruxelles : De Boeck.

ALLEMANN-GHIONDA, C. (2002). La pluralité, dimension sous-estimée mais constitutive du curriculum de l’éducation générale. Dans P.R. Dasen et C. Perregaux (Éds.) Pourquoi des approches interculturelles en sciences de l’éducation ? (p. 163-180). Bruxelles : De Boeck.

BARRETTE, C., GAUDET, É., LEMAY, D. (1996). Guide de communication interculturelle. St-Laurent : ERPI.

BELKAÏD, M. (2002). La diversité culturelle : pour une formation des enseignants en altérité. Dans P.R. Dasen et C. Perregaux (Éds.) Pourquoi des approches interculturelles en sciences de l’éducation ? (p. 205-222). Bruxelles : De Boeck.

BERTHOUD-AGHILI, N. (2002). Le dialogue interculturel à l’école : rôles de la médiation. Dans P.R. Dasen et C. Perregaux (Éds.) Pourquoi des approches interculturelles en sciences de l’éducation ? (p. 147-162). Bruxelles : De Boeck.

CLANET, C. (2002). L’interculturel et la formation des maîtres : institution et subjectivation. Dans P.R. Dasen et C. Perregaux (Éds.) Pourquoi des approches interculturelles en sciences de l’éducation ? (p. 223-242). Bruxelles : De Boeck.

CONSTANT, F. (2000). Le multiculturalisme. Paris : Flammarion.

HABERMAS, J. (1986). Morale et communication. Paris : Cerf.

KATTAN, N. (2001). L’écrivain migrant. Essais sur des cités et des hommes. Montréal : Hurtubise HMH.

Kotek, J., Medhoune, A. (Éds.) (1998). L’école face au racisme : les jeunes au défi de l’ethnicité. Gerpinnes : Quorum.

LAVALLÉE, C., MARQUIS, M. (1999). Éducation interculturelle et petite enfance. Québec : Les Presses de l’Université Laval.

MAALOUF, A. (1998). Les identités meurtrières. Paris : Grasset, Livre de Poche.

Martineau, S. (2005). L’éducation interculturelle : problématique, fondements et principes d’action. Dans L’enseignement : profession intellectuelle, sous la direction de Denis Simard et M’Hammed Mellouki, Québec : Les Presses de l’Université Laval, p. 207-236.

MC ANDREW, M. (2001). Immigration et diversité à l’école. Le débat québécois dans une perspective comparative. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal.

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OGAY, T. (2002). «Intercultural communication» et psychologie des contacts de cultures, un dialogue interdisciplinaire et interculturel encore à construire. Dans P.R. Dasen et C. Perregaux (Éds.) Pourquoi des approches interculturelles en sciences de l’éducation ? (p. 67-84). Bruxelles : De Boeck.

PERREGAUX, C. (2002). Approches interculturelles et didactiques des langues : vers des intérêts partagés en sciences de l’éducations ? Dans P.R. Dasen et C. Perregaux (Éds.) Pourquoi des approches interculturelles en sciences de l’éducation ? (p. 181-201). Bruxelles : De Boeck.

PORCHER, L. et ABDALLAH-PRETCEILLE, M. (1998). Éthique de la diversité et éducation. Paris : PUF.

Rojzman, C. (2001). Savoir vivre ensemble. Agir autrement contre le racisme et la violence. Paris : La Découverte.

SEMPRINI, A. (1997). Le multiculturalisme. Paris : PUF, coll. Que sais-je ?

Sibony, D. (1997). Le «racisme», une haine identitaire. Paris : Seuil.

VERBUNT, G. (2001). La société interculturelle. Vivre la diversité humaine. Paris : Seuil.

Wievorka, M. (1998). Le racisme, une introduction. Paris : La Découverte.

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