Bienvenue



Pour me rejoindre :

Stemar63@gmail.com

06 juillet 2011

Petite enquête sur les débuts en enseignement

Introduction
Les débuts dans la profession sont toujours l’occasion d’un choc pour le nouvel enseignant. Ce choc du «terrain» s’accompagne généralement de la sensation d’être vulnérable. C’est pourquoi on qualifie l’entrée dans la carrière de «période de survie». Durant leurs premières années, de nombreux enseignants éprouvent ainsi de multiples difficultés dans leur quête d’accomplissement professionnel. Ce court texte rend compte des résultats préliminaires de deux recherches subventionnées par le Fonds Institutionnel de Recherche (FIR) : Le sentiment d’incompétence pédagogique chez les enseignants du secondaire en situation d’insertion professionnelle : une étude exploratoire (1999-2000) et Les mesures de soutien à l’insertion professionnelle pour les nouveaux enseignants des écoles secondaires de la grande région de Trois-Rivières (2000-2001). Dans la première, l’objectif général était de mettre au jour la nature et les caractéristiques du sentiment d’incompétence tel que vécu par les enseignants nouvellement en exercice dans les écoles secondaires québécoises. Plus spécifiquement, il s’agissait : 1) d’analyser l’interprétation des nouveaux enseignants quant à l’incompétence ressentie dans leur pratique professionnelle ; 2) d’identifier les champs d’action où ces enseignants vivent un sentiment d’incompétence ; 3) de déterminer les effets du sentiment d’incompétence pédagogique sur la pratique en classe ; 4) de mettre au jour les stratégies mobilisées par les enseignants afin de palier ou d’éviter les situations d’enseignement où le sentiment d’incompétence peut apparaître. Dans la deuxième, nous avons tenté de répondre à la question suivante : Quelles sont les mesures de soutien apportées par les administrations scolaires et comment fonctionnent-elles ? Plus spécifiquement, nous poursuivions trois objectifs : 1) décrire et analyser les conceptions de la compétence et du défaut de performance pédagogique (incompétence) telles que formulées par les directions d’établissements scolaires; 2) décrire et analyser les processus de soutien des nouveaux enseignants; 3) à partir des données recueillies, et en relation avec la littérature pertinente, formuler une problématique des exigences de compétence pédagogique et du soutien à l’insertion professionnelle des nouveaux enseignants de l’ordre d’enseignement secondaire.
1. Problématique
1.1 SUR L’INSERTION PROFESSIONNELLE
L’enseignant débutant dans la carrière se trouve devant un double défi. D’abord, il doit réaliser son insertion sur le plan institutionnel. Ensuite, il doit ajuster ou développer rapidement plusieurs savoirs et plusieurs compétences à la situation concrète d’intervention où il se trouve. Ainsi, tout en apprenant à connaître son lieu de travail et ses collègues, il continue d’apprendre son métier. Ce double défi peut facilement conduire le débutant à adopter un comportement traditionnel et peu novateur, en d’autres termes l’amener à se soumettre à la pression à la conformité venant du milieu de travail.
Les recherches portant sur la socialisation professionnelle des enseignants montrent à l’évidence que l’entrée dans la carrière est une étape déterminante (Zeichner et Gore, 1990). Le débutant doit se construire une représentation adéquate et fonctionnelle de son environnement de travail et ce, non plus à partir du point de vue d’un élève (qu’il a été) mais à partir de celui d’un enseignant (qu’il est maintenant). En ce sens, l’insertion professionnelle est un véritable processus de transformation identitaire (Martineau et Corriveau, 2000). Dans ce processus, il n’est pas rare que le nouvel enseignant se sente bousculé dans ses croyances construites depuis son entrée à la maternelle jusqu’à sa sortie de l’université (Wideen, Mayer-Smith, Moon, 1998). Persuadé de pouvoir s’adapter rapidement à son nouvel emploi, il déchante souvent très rapidement.
Les premières années dans la profession exercent ainsi une influence considérable sur la suite de la carrière. Dans les cas les plus dramatiques, des débuts difficiles peuvent conduire le nouvel enseignant à abandonner complètement l’enseignement. À l’inverse, s’insérer dans un contexte de travail agréable et stimulant accroît très souvent le désir d’engagement professionnel. «Les débuts dans l’enseignement jettent les bases de la dynamique motivationnelle qui animera l’enseignant» (Raymond, 2001, p. 23). Par ailleurs, les premières expériences de travail en milieu scolaire fournissent une large part des matériaux qui constituent la base de connaissances pédagogiques personnelles. En ce sens, la période d’insertion au travail n’est pas sans exercer une influence sur le développement professionnel ultérieur du praticien (Huberman, 1989). Ajoutons à cela que cette période de la carrière se fait la plupart du temps sous le sceau d’une précarité d’emploi qui peut parfois se prolonger durant plusieurs années (Mukamurera, 1999). Cette situation n’est pas sans entraîner toute sorte de désagréments : plusieurs préparations de cours différentes; prise en charge de classes dans différents niveaux; contrat signé à la dernière minute laissant peu de temps pour se préparer; multiple changements de lieu de travail, etc. Dans ces conditions la constitution de la base de connaissances pédagogiques personnelles devient plus ardue. Par exemple, chaque nouveau contrat peut être l’occasion d’un recommencement «à neuf» où le débutant vit plus profondément que l’enseignant régulier la remise en cause de ses connaissances et de ses compétences. Pas étonnant que, dans ces conditions, de trop nombreux enseignants à l’aube de leur carrière se sentent littéralement dépassés par la tâche à accomplir.
1.2 SUR LE SENTIMENT D’INCOMPÉTENCE PÉDAGOGIQUE
Le débat actuel sur la professionnalisation de l’enseignement pose, entre autres, que l’enseignant possède une certaine autonomie professionnelle et dispose de compétences pédagogiques (Gauthier et al., 1997). Cette autonomie et ces compétences doivent dans la pratique être mobilisées afin de produire un effet sur les apprentissages et la socialisation des élèves : l’effet enseignant (Felouzis, 1997). Par conséquent, il semble légitime de poser la question de la responsabilité de l’enseignant en regard de l’apprentissage et de la socialisation des élèves. Si l’école, en tant qu’institution, ne peut éviter de poser cette question, il va sans dire que, tôt ou tard, cette interrogation, les enseignants se la posent eux-mêmes.
L’enseignement est un métier de l’impossible, une pratique exercée dans l’incertitude, où cohabitent diverses dimensions des rapports humains (Perrenoud, 1996). Il ne peut en effet se résumer à une tâche purement cognitive car les variables affectives, relationnelles, stratégiques, éthiques, etc., le traversent (Tardif, 1993). Or, l’enseignement, ces dernières années, s’est considérablement complexifié notamment en raison de l’alourdissement des tâches des enseignants et de la diversification des clientèles scolaires (Robert et Tondreau, 1997). Cette situation place l’enseignant devant des circonstances inédites auxquelles sa formation universitaire ne l’avait souvent pas préparé. Et, comme l’a démontré Schütz (1987), notre capacité à faire face aux événements est fortement liée au «stock de connaissances» que nous possédons, lequel s’appuie sur nos expériences antérieures. Dans ce contexte, l’interrogation sur l’effet enseignant acquiert une nouvelle pertinence et la question de la responsabilité du praticien quant aux apprentissages et à la socialisation des élèves se pose d’une manière inédite. Cette conjoncture est propice à l’émergence chez les enseignants du sentiment d’être débordé, de n’être pas en mesure de suffire à la tâche, de ne plus pouvoir produire l’effet escompté, bref, de ressentir un sentiment d’incompétence pédagogique.
On a traditionnellement traité l’incompétence professionnelle sous l’angle de la gestion scolaire (Bridges, 1993; Seyfarth, 1996). Selon cette vision, ce sont les fautes professionnelles graves – conduisant potentiellement au renvoi – telles l’incapacité à maintenir un contrôle sur la classe ou à traiter les élèves de manière appropriée, l’incapacité à transmettre efficacement la matière, le refus de suivre le programme scolaire, l’abus envers les élèves ou le manque excessif de ponctualité, qui sont analysées. Ces recherches tentent ainsi de dégager un portrait des cas d’incompétence professionnelle afin de déterminer les meilleures mesures à prendre envers les enseignants impliqués. Or, outre le fait que ces recherches n’abordent pas la question du sentiment vécu par ces enseignants, les problèmes soulevés, selon Bridges (1993, p. 2), ne concerneraient que 5 % du corps professoral. C’est dire que les autres (les 95 %) peuvent être jugés compétents. Cela n’implique toutefois pas que, dans la trame des micro-événements de la classe et de l’école, ceux-ci se sentent toujours à la hauteur de ce qu’on attend d’eux et surtout, de ce qu’ils attendent d’eux-mêmes.
Pourtant, le sentiment de compétence apparaît comme un élément capital dans l’efficacité de l’enseignant. La psychologie cognitive a en effet montré que la perception de la contrôlabilité de la tâche est une dimension essentielle de la motivation (Tardif, 1992) et cette dernière s’avère une variable incontournable dans la réalisation adéquate d’un travail. On peut donc a contrario postuler que le sentiment d’incompétence sera associé au sentiment de n’être pas en contrôle sur la tâche à accomplir et nuira à la motivation au travail. Les premières années du métier étant celles de l’insertion professionnelle et du nécessaire ajustement qu’elles impliquent, les enseignants en début de carrière seront de toute évidence les plus susceptibles de ressentir un tel sentiment d’incompétence. Par exemple, Grossman et Gudmundsdottir (1987) ont montré que l’acquisition de l’expérience en enseignement permet de raffiner et de rendre plus explicites les modèles de l’enseignement d’une matière. Ainsi, les enseignants expérimentés sont plus à même de résoudre les problèmes en classe notamment en raison de leur plus grande capacité à cerner les préconceptions et les stratégies des élèves.
Mais, comment circonscrire le concept d’incompétence pédagogique ? Si la définition du concept de compétence pose problème en enseignement (Rey, 1996), il en va bien sûr de même pour son inverse : l’incompétence. Toutefois, afin de baliser le terrain il est possible ici de se donner quelques repères. D’abord, on définira l’incompétence pédagogique non pas comme une incapacité physique ou mentale, une faute criminelle (abus, alcoolisme, etc.) ou une faute déontologique au sens de la Loi de l’Instruction publique (L.R.Q. chapitre 1-13.3) mais en fonction d’une absence ou d’une faiblesse dans le contrôle de la tâche à accomplir. Ensuite, cette absence ou cette faiblesse à contrôler une tâche pédagogique sera déterminée non pas a priori en fonction d’une représentation normative de la pratique enseignante mais à partir de l’interprétation que s’en font les enseignants eux-mêmes. L’incompétence pédagogique est ici définie comme étant une absence ou une faiblesse dans le contrôle ou l’exécution de la tâche professionnelle, tel que perçue par le jeune enseignant lui-même. Par le fait même, le concept de sentiment d’incompétence pédagogique renvoie donc au vécu cognitif et émotionnel lié à l’évaluation de la contrôlabilité de la tâche tel que mis en discours par les enseignants interviewés.
2. Sujets rencontrés et méthodologie
Dans les deux recherches présentées ici, nous avons eu recours à une approche qualitative reposant sur des entrevues de type semi-directif. Dans un premier temps, à l’automne 1999, treize enseignants (5 hommes et 8 femmes dont la moyenne d’âge est de 29 ans), ayant cinq années ou moins d’expérience et occupant un poste à temps plein dans une école secondaire de la grande région de Trois-Rivières, ont été interviewés. Les rencontres ont duré généralement 1h10. Les propos des sujets ont été comme de coutume retranscrits sous forme de verbatims.
Dans un deuxième temps, en janvier et février 2001, nous avons interviewé six membres de directions d’écoles : quatre directions d’écoles secondaires générales, deux directions d’écoles techniques professionnelles. Nos sujets se répartissaient à part égale entre les deux sexes (3 hommes, 3 femmes). Les rencontres, plus brèves qu’avec les enseignants novices, ont duré en moyenne 30 minutes. Les propos des sujets ont également été retranscrits sous forme de verbatims. Dans les deux sections qui suivent nous présentons les résultats de l’analyse préliminaire de ces 19 entrevues.
3. Quelques pistes en regard des entrevues avec les enseignants
Nous n’en sommes qu’au tout début de l’analyse du matériel recueilli. Un survol rapide du contenu des entrevues indique néanmoins quelques éléments intéressants. Premièrement, le sentiment d’incompétence pédagogique peut se ressentir tout autant dans les tâches liées au travail en classe avec les élèves que dans celles s’effectuant en dehors de cette enceinte protégée (sortie avec son groupe, travail avec les collègues, etc.). Mais, les dimensions relevant de la pratique en classe en présence du groupe d’élèves sont nettement dominantes. Deuxièmement, lorsqu’il survient en classe, le sentiment d’incompétence peut être associé à la gestion de la matière ou à la gestion du groupe d’élèves (selon un découpage de la tâche enseignante devenu classique). On note cependant – et cela va dans le sens des recherches sur l’insertion professionnelle – une prépondérance certaine des questions liées à la gestion de classe sauf dans le cas où le sentiment d’incompétence pédagogique prend son origine dans le fait d’enseigner une matière qu’on ne maîtrise pas (par exemple, être formé en mathématiques et biologie et enseigner l’écologie). Troisièmement, et de la même manière, ce sont tout autant des activités pré-actives, interactives ou post-actives (Gauthier, Desbiens, Martineau, 1999) qui peuvent être la source de ce type de sentiment : difficultés à construire des outils pédagogiques ou des activités d’apprentissage, sentiment ou impression que l’on «ennuie» le groupe, dilemmes portant sur les modalités d’évaluation, etc. Quatrièmement, l’incompétence pédagogique, on l’attribue parfois à soi – manque d’expérience par exemple – ou à une cause extérieure – une formation initiale qui ne prépare pas adéquatement, l’impossibilité de «gérer» la situation adéquatement compte-tenu des ressources (matérielles ou humaines) disponibles, des élèves trop «problématiques», etc. Cinquièmement, le sentiment d’incompétence pédagogique ne donne pas toujours lieu à des stratégies pour le surmonter. L’attitude semble souvent être teintée d’un certain fatalisme : «ça va passer avec le temps»; «je ne peux rien y faire». Toutefois, dans plusieurs situations les enseignants enclenchent des actions concrètes pour résoudre la difficulté : consulter un collègue plus expérimenté; mettre les bouchées doubles pour acquérir des connaissances sur une matière avec laquelle on est «moins à l’aise», etc. Il faut cependant constater – et cela ne surprendra personne – que la recherche (à tout le moins ses résultats publiés sous forme d’ouvrages ou d’articles) n’est ressortie à aucun moment comme source de référence pour développer des stratégies de résolution de problèmes liés au travail. Sixièmement, en tant que représentation et évaluation de soi (comme pédagogue) et de l’efficacité de son action face à une situation donnée, le sentiment d’incompétence pédagogique apparaît étroitement lié à une représentation normative du bon enseignant construite par les nouveaux enseignants. En ce sens, le sentiment d’incompétence pédagogique est également associé à la pression à la conformité qui vient du milieu de travail. En somme, la socialisation au travail apparaît bel et bien comme étant tout à la fois une «initiation» (au sens anthropologique du terme) à la culture professionnelle et une «conversion» (au sens religieux) du sujet à une nouvelle représentation du monde et de soi. Les sujets interviewés ont vécu durant leurs premières années un processus complexe de transformation en profondeur de leur identité professionnelle.
À travers l’expression de leur sentiment d’incompétence pédagogique, les enseignants rencontrés expriment aussi leurs besoins en matière de soutien à l’insertion professionnelle. Ces besoins concernent avant tout les savoirs pédagogiques. Ainsi, ils souhaitent obtenir des conseils sur les meilleures stratégies pour maintenir la discipline en classe ou encore qu’on leur prodigue de «bons trucs» pour susciter la motivation à apprendre chez les élèves. De plus, ils souhaiteraient recevoir une formation pour mieux maîtriser l’évaluation formative et sommative des travaux des élèves. En ce qui concerne leur identité professionnelle, on peut affirmer que, même si l’abandon de la probation depuis 1998 a contribué à clarifier le statut des débutants (Lévesque et Gervais, 2000), les nouveaux enseignants désirent être reconnus par les enseignants chevronnés comme des collègues à part entière. Ils répugnent ainsi à être traités de manière condescendante mais reconnaissent qu’ils ont des «croûtes à manger».
4. Quelques pistes en regard des entrevues avec les directions d’écoles
4.1 ATTENTES ENVERS LES ENSEIGNANTS NOVICES
Dans l’ensemble, les propos des directions d’écoles interviewés touchent presque tous les thèmes auxquels on s’attendait notamment, les connaissances professionnelles, les compétences professionnelles, l’éthique par rapport aux élèves mais aussi aux autres intervenants de l’école; ils touchent aussi la question de l’insertion dans la communauté scolaire et la formation continue.
Les éléments qui suivent font état des points de convergence au niveau des attentes envers les enseignants novices exprimées par les directions d’écoles. Les directions d’écoles attendent des nouveaux enseignants :
- qu’ils soient capables d’aimer et d’établir de bons contacts avec les élèves ainsi qu’avec leurs pairs;
- qu’ils soient capables de préparer, de planifier et de transmettre adéquatement des cours à donner aux élèves;
- qu’ils possèdent une capacité à transmettre les connaissances;
- qu’ils fassent preuve qu’une très bonne maîtrise des contenus à enseigner;
- qu’ils aient, dès leur embauche, des compétences pédagogiques actualisées, c’est-à-dire adaptées aux nouvelles réalités éducatives (réforme, nouveau curriculum, régime pédagogique, etc.);
- qu’ils possèdent des habiletés au niveau des nouvelles technologies informatiques pour pouvoir les utiliser et y entraîner les élèves;
- qu’ils se distinguent des élèves par leurs comportements, c’est-à-dire, qu’ils soient des modèles pour les élèves (une bonne tenue en classe, habillement correct, bonne diction, respect des règlements de l’école); afin de ne pas être confondus avec des élèves;
- qu’ils développent un style personnel, qu’ils soient sûrs d’eux-mêmes (confiance en soi), de ce qu’ils font tant dans la gestion de la matière qu’en gestion de classe;
- qu’ils maîtrisent les compétences par rapport à la gestion de classe afin d’intervenir adéquatement en matière de la discipline;
- qu’ils possèdent une bonne connaissance des outils pédagogiques et des techniques d’enseignement intégrées comme l’apprentissage coopératif;
- qu’ils soient capables de s’impliquer, de partager et de participer à la vie de l’école;
- qu’ils soient des gens disciplinés, par rapport à leur profession et surtout par rapport au code de vie de l’école;
- qu’ils soient capables de travailler en équipe.
4.2 ACCUEIL DES NOVICES
En général, le processus d’accueil des nouveaux enseignants n’est pas formel ni planifié comme tel. Les propos recueillis de toutes les directions d’écoles convergent sur les éléments suivants :
- les novices ont droit à une période d’accueil et de rencontres avec la direction de l’école ou par un membre du personnel de la direction (connaissance mutuelle, échange sur le vécu de l’école, sur les activités, la culture organisationnelle de l’école);
- ensuite, les nouveaux sont présentés à l’équipe enseignante de l’école;
- s’ajoute régulièrement à cela une visite de l’école;
- par ailleurs, on explique : les règlements à respecter, le programme d’études, le fonctionnement de l’école, le projet éducatif;
- enfin, dans certain cas il y a parrainage ou jumelage des nouveaux avec des «anciens» selon le domaine et le niveau d’enseignement. Le parrain a pour tâches d’initier le nouveau à la préparation des cours, au suivi des élèves, au travail à faire pendant et après l’enseignement.
4.3 PROBLÈMES RENCONTRÉS PAR LES NOVICES
Il semble que les nouveaux enseignants éprouvent souvent certains problèmes. Les propos des directions convergent sur les thèmes suivants :
- l’incapacité d’assurer la discipline en classe, c’est-à-dire, la difficulté à maîtriser un groupe d’élèves (parce qu’ils se font «chum» avec les élèves et parce qu’ils ne sont pas souvent disciplinés eux-mêmes);
- plusieurs réticences à demander de l’aide quand ils sont confrontés à des problèmes d’ordre professionnel, réticences qui peuvent s’expliquer par la crainte d’être jugés incompétents ou incapables;
- difficultés à rencontrer les tâches de planification et de préparation des cours;
- manque de culture générale de base;
- connaissances pédagogiques souvent mal adaptées au nouveau curriculum scolaire ou au nouveau régime pédagogique.
En ce qui concerne le secteur professionnel, on apprend que les enseignants en début de carrière ne semblent pas éprouver des problème de gestion de la discipline en classe, non pas parce qu’ils possèdent des compétences que leurs confrères du secteur général n’ont pas mais simplement parce qu’ils ont affaire à des étudiants adultes. Par contre, leurs grandes difficultés se situent plutôt au niveau de la pédagogie. Ils possèdent peu de connaissances pédagogiques (voire dans certains cas, pas du tout). Ainsi, ils ne savent pas comment planifier ou organiser leurs cours, ni comment évaluer et préparer les examens. En outre, il semble qu’ils se soucient peu de transmettre des valeurs.
4.4 MESURES DE SOUTIEN À L’INSERTION PROFESSIONNELLE
Dans l’ensemble, les directions d’écoles négligent la question de la mise en place de mesures de soutien formel. Dans les écoles secondaires comme dans les professionnelles :
- En plus de l’accueil, les jeunes enseignants sont d’abord supervisés et encadrés par l’un ou l’autre membre de la direction désigné; jusqu’à ce qu’ils s’intègrent complètement les réalités professionnelles du monde scolaire;
- pour la plupart des directions d’écoles, les jeunes enseignants sont parrainés ou jumelés avec des anciens qui enseignent la même matière et au même niveau scolaire (la durée du parrainage est de 6 à 12 mois);
- deux directions d’écoles rencontrées invitent formellement les nouveaux à prendre l’initiative et se confier à elles dans le cas où ils rencontrent des problèmes dans l’exercice de leur profession.
Conclusion
Bien que nous n’en soyons qu’à la toute première étape dans l’analyse de notre matériel d’entrevue, on peut d’ores et déjà avancer que le sentiment d’incompétence pédagogique des nouveaux enseignants du secondaire est étroitement lié à un double contexte : celui du travail enseignant en général – contexte marqué par des contraintes multiples, des tensions inévitables et une complexité croissante – et celui de l’insertion professionnelle en particulier – insertion où se jouent à la fois des phénomènes de système (par exemple, présence ou absence de support reçu de la part de l’établissement scolaire) et des logiques d’acteurs (par exemple, les stratégies de résolution des problèmes qui se posent au jour le jour). Par exemple, le croisement de nos données d’entrevues auprès des enseignants débutants et auprès des membres de directions d’écoles laissent entrevoir qu’une partie du sentiment d’incompétence pédagogique peut s’expliquer par le manque de support à l’insertion professionnelle. En ce sens, nos données semblent confirmer les recherches récentes tant sur le travail enseignant (Tardif et Lessard, 1999) que sur l’insertion professionnelle (Hétu, Lavoie, Baillauquès, 1999; Mukamurera, 1998).
Bibliographie
- Bridges, E.M. (1993). The Incompetent Teacher. Managerial Responses. Washington D.C. : The Falmer Press.
- De Bruyne, P., Herman, J. et De Schoutheete, M. (1974). Dynamique de la recherche en sciences sociales. Paris : PUF.
- Felouzis, G. (1997). L’efficacité des enseignants. Paris : PUF.
- Gauthier, C., Desbiens, J.-F., Malo, A., Martineau, S., Simard, D. (1997). Pour une théorie de la pédagogie. Recherches contemporaines sur le savoir des enseignants. Sainte-Foy : Les Presses de l’Université Laval.
- Gauthier, C., Desbiens, J.-F., Martineau, S. (1999). Mots de passe pour mieux enseigner. Sainte-Foy : Les Presses de l'Université Laval.
- Grossman, P.L. et Gudmundsdottir, S. (1987). Teachers and texts : An expert/novice study in English (Knowledge Growth in a Profession Publication Series). Stanford, CA : Stanford University, School of Education.
- Hétu, J.-C., Lavoie, M., Baillauquès, S. (dir.) (1999). Jeunes enseignants et insertion professionnelle. Un processus de socialisation ? de professionnalisation ? de transformation ?. Bruxelles : De Boeck.
- Huberman, A.M. (1989). La vie des enseignants. Évolution et bilan d’une profession. Neuchâtel/Paris : Delachaux et Niestlé.
- Le Boterf, G. (2000). Compétence et navigation professionnelle. Paris : Éditions d’Organisation. 3e édition.
- Lévesque, M., Gervais, C. (2000). L’insertion professionnelle : une étape à réussir dans le processus de professionnalisation de l’enseignement. Éducation Canada, 40 (1), 12-15.
- Martineau, S., Corriveau, G. (2000). Vers une meilleure compréhension du sentiment d’incompétence pédagogique chez les enseignants en insertion professionnelle au secondaire. Formation et Profession, 6 (3), 5-8.
- Mukamurera, J. (1999). Les trajectoires d’insertion de jeunes profs au Québec. Vie Pédagogique, 111, avril-mai, 24-27.
- Mukamurera, J. (1998). Étude du processus d'insertion professionnelle de jeunes enseignants à partir du concept de trajectoire. Thèse de doctorat. Sainte-Foy : Université Laval.
- Perrenoud, P. (1996). Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude. Paris : ESF.
- Raymond, D. (2001). Processus et programmes d’insertion professionnelle des enseignants du collégial. Pédagogie collégiale, 14 (3), 22-27.
- Rey, B. (1997). Les compétences transversales en question. Paris : ESF.
- Robert, M. et Tondreau, J. (1997). L’école québécoise. Débats, enjeux et pratiques sociales. Une analyse sociale de l’éducation pour la formation des maîtres. Montréal : CEC.
- Schütz, A. (1987). Le chercheur et le quotidien. Paris : Méridiens Klincksieck.
- Selltiz, C., Wrightsman, I.S. et Cook, S.W. (1977). Les méthodes de recherche en sciences sociales. Montréal : HRW.
- Seyfarth, J.T. (1996). Personnel Management for Effective Schools. 2e édition. Boston : Allyn and Bacon.
- Tardif, J. (1992). Pour un enseignement stratégique. L’apport de la psychologie cognitive. Montréal : Logiques.
- Tardif, M. (1993). Savoirs et expérience chez les enseignants de métier. In H. Hensler (dir.), La recherche en formation des maîtres. Détour ou passage obligé sur la voie de la professionnalisation? (p. 53-86). Sherbrooke : CRP.
- Tardif, M., Lessard, C. (1999). Le travail enseignant au quotidien. Contribution à l’étude du travail dans les métiers et les professions d’interactions humaines. Sainte-Foy : Les presses de l’Université Laval.
- Wideen, M., Mayer-Smith, J., Moon, B. (1998). A critical analysis of research on learning to teach : Making the case for an ecological perspective on inquiry. Review of educational research, 68 (2), 130-178.
- Zeichner, K.M., Gore, J.M. (1990). Teacher socialization. In W.R. Houston, M. Huberman, J.K. Sikula (dir.), Handbook of research on teacher education (p. 329-348). New York : MacMillan.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire