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17 septembre 2015

Pédagogie et culture


Problématique

En éducation, une question qui revient constamment est : comment rendre l’école plus efficace ?  Chez les chercheurs et les enseignants, on peut distinguer deux visions intellectuelles distinctes quant à la prise en compte des aspects culturels afin d’améliorer l’efficacité scolaire.

1. Une première approche (« policy mechanics ») est véhiculée par certains enseignants et chercheurs qui  préconisent l’utilisation du même matériel pédagogique et des mêmes pratiques peu importe la provenance culturelle des élèves. Ils tentent de cerner des pratiques et des outils d’enseignement uniformes, pouvant améliorer l’efficacité scolaire. “The policy mechanics attempt to identify particular school inputs, including discrete teaching practices, that raise student achievement. They seek universal remedies that can be manipulated by central agencies and assume that the same instructional materials and pedagogical practices hold constant meaning in the eyes of teachers and children across diverse cultural settings.” (p. 119).

2. Une deuxième vision est préconisée par les « culturalistes » qui mettent l’accent sur la socialisation normative qui survient au sein de la classe. Ainsi ces derniers étudient surtout  les modèles implicites véhiculés au sein de la classe ainsi que  la manière dont les élèves sont socialisés afin d’accepter certaines règles, normes, conceptions et orientations.

Cadre de référence

La réussite scolaire est définie brièvement comme étant : « the acquisition of basic literacy and cognitive skills. » (p.121)

Dans cet article, les auteurs tentent d’expliquer pourquoi la première approche (policy mechanics) demeure très influente dans les pays en développement. Ainsi, ils soulignent que quatre forces viennent soutenir l’influence de l’approche politique (policy mechanics) dans les pays en voie de développement :

1) Après 20 ans de recherche empirique, l’on sait désormais que sous certaines conditions, les effets de l’école sur la réussite scolaire sont plus importants que l’influence du milieu familial en ce qui concerne les milieux défavorisés.

2) Les nombreuses études réalisées dans les pays en développement permettent de discerner les éléments qui sont plus susceptibles d’améliorer la réussite scolaire de ceux qui n’ont pas d’effet. Puisque les ressources dans les pays en voie de développement sont peu nombreuses, les décideurs politiques sont plus enclins à prendre en compte les résultats de ces études afin d’orienter l’allocation des ressources.

3) Certaines recherches (production-function research) démontrent qu’il est utile de centraliser les politiques afin de réduire les inégalités quant à la réussite scolaire.

4)  Aux yeux des décideurs politiques, l’approche culturaliste semble moins efficace. « No body of literature from the classroom culturalism framework rivals the production-function literature in Third World settings” (p. 123)

Par ailleurs, les auteurs ajoutent que cette tendance à rechercher des pratiques universelles pouvant améliorer l’efficacité scolaire provient également du désir des gouvernements de trouver des investissements simples (textes, manuels, etc.) qui pourraient améliorer la réussite scolaire et la qualité de l’éducation, indépendamment des conditions locales.

Dans l’approche politique (policy mechanics) et la littérature scientifique de type « production-function », la mission d’instruction de l’école est  mise de l’avant : « Finally, the original production-function metaphor assumes that the preeminent mission of schools and teachers is to raise cognitive achievement.” (p. 124). Par contre, on accorde également une large place à la mission de socialisation en ce sens que, dans les pays en voie de développement, les élèves sont socialisés afin d’accepter certaines normes relatives à l’autorité et à la participation sociale. Les politiques de certains pays (Europe de l’Est, certaines régions d’Asie et Afrique du Sud) tentent également de mettre l’accent sur la manière d’utiliser l’école en tant qu’outil pour socialiser les élèves à la démocratie.  « Emerging debates in Japan and China over how to socialize pupils to become more individualistic in their achievement orientation offer additional examples of how school effectiveness often has broader connotations than simply boosting cognitive forms of learning.” (p. 124)

Méthodologie

Les auteurs ont étudié la littérature scientifique portant sur l’efficacité scolaire, provenant de pays en voie de développement. Plus précisément, ils ont analysé les données de plus d’une centaine de recherches empiriques, publiées à partir de 1987 et traitant des effets de certains facteurs sur la réussite scolaire, tout en contrôlant l’influence du milieu familial. Cette littérature diffère de celle proposée aux États-Unis ou en Europe de l’Ouest en ce sens que la conception de l’efficacité scolaire véhiculée dans les pays en voie de développement est généralement de type « production-function » et se base majoritairement sur la première approche présentée (policy mechanics).

Résultats

Les auteurs identifient trois domaines principaux qui peuvent avoir une influence positive sur l’efficacité scolaire :

1) La disponibilité de manuels et de matériel de lecture supplémentaire : Plusieurs recherches  provenant de divers pays en voie de développement (Philippine, Nicaragua, Brésil, Inde, Iran, Indonésie, Venezuela, etc.) viennent démontrer que ce facteur influence positivement la réussite scolaire des élèves. La disponibilité de manuels d’exercices, d’une bibliothèque scolaire ou de matériel d’écriture semble également avoir un impact positif. Par contre, dans une des études, réalisée en Indonésie (Ross & Postlethwaite, 1989), les chercheurs n’ont pas noté d’effets significatifs relatifs à l’utilisation de matériel de lecture, une fois pris en compte le milieu familial des élèves, les connaissances de l’enseignant quant au sujet enseigné et d’autres facteurs scolaires. En outre, les recherches provenant des écoles secondaires, en comparaison avec celles des écoles primaires, relèvent moins d’effets significatifs quant à la disponibilité de manuels scolaires.

2) Les qualités d’enseignement : Aux États-Unis et en Europe de l’Ouest, la formation initiale et  le milieu d’origine des enseignants ne permet généralement pas d’expliquer les différences quant à la réussite scolaire des élèves, alors que dans les pays en développement, ces deux variables semblent avoir une influence quant à l’efficacité scolaire. Ainsi, la connaissance de sa matière par l’enseignant a un impact positif sur la réussite scolaire des élèves. De même, la formation reçue peut avoir une influence mais ce n’est pas le cas dans toutes les recherches recensées. Lorsque cette formation apporte une influence positive, on note généralement que c’est la qualité de l’enseignement qui s’améliore : l’enseignant offre davantage de rétroactions aux élèves, il emploie davantage de questions ouvertes et il  utilise des méthodes d’enseignement plus actives. Néanmoins, il demeure difficile d’identifier quel type de formation initiale apporte une influence significative quant à l’efficacité scolaire.

3) Le temps d’enseignement et la quantité de travail demandée aux élèves : Les recherches effectuées dans plusieurs pays en voie de développement révèlent que le temps d’enseignement a une influence importante sur la réussite scolaire des élèves. Ainsi, la durée de la journée et de l’année scolaire a un impact quant à la réussite en ce sens que plus l’élève a de temps de présence à l’école, plus il est susceptible de réussir. Cet effet est moins marqué aux États-Unis que dans les pays en voie de développement. « Anderson et al. (1989) argue that time in school may be more efficiently used in some developing countries than within industrialized societies, because student misbehaviour and time off academic tasks occur less frequently, at least based on their classroom studies in Negeria, South Korea and Thailand”. (p. 131).

D’autres facteurs relevant des politiques scolaires semblent avoir peu ou pas d’impact (ou encore un impact variable d’une étude à l’autre) quant à la réussite scolaire des élèves : le nombre d’élèves par classe, le salaire des enseignants, la pédagogie active et les pratiques d’enseignement.

L’analyse des facteurs ayant un impact ou non sur la réussite scolaire des élèves dans les pays en voie de développement permet de déterminer quelles stratégies doivent être privilégiées afin d’augmenter l’efficacité scolaire. Toutefois, il faut aussi prendre en compte la rentabilité de ces mesures, c’est-à-dire le coût économique qu’elles demandent comparativement à ce qu’elles rapportent en termes d’améliorations quant à la réussite des élèves.

Ainsi, l’achat de manuels scolaires ou de matériel d’écriture paraît un investissement rentable car il ne demande pas un coût trop élevé et il apporte d’importants bénéfices quant à la réussite scolaire. Par contre, lorsque la quantité de matériel est déjà suffisante, l’achat de nouveaux manuels n’apporte pas une différence significative quant à la réussite des élèves. Par ailleurs, investir dans la formation continue des enseignants semble également une mesure rentable. Toutefois, la diminution du ratio scolaire s’avère une mesure peu judicieuse car très coûteuse et apportant peu d’impact sur la réussite scolaire des élèves.

Interprétation 

La disponibilité du matériel scolaire, le temps d’enseignement et la formation des enseignants sont des facteurs ayant un impact très élevé quant à la réussite scolaire des élèves dans les pays en voie de développement. Par contre, cet impact semble diminuer lorsque la qualité générale de l’enseignement et du système d’éducation augmente.

Quatre conditions culturelles locales peuvent influencer l’efficacité des différents facteurs de réussite scolaire :

a) Les exigences des familles en lien avec l’éducation (liée à la perception de l’utilité et de la légitimité de l’école) : Lorsque les études prennent en compte certains facteurs relatifs à la classe sociale ou à l’ethnicité des élèves quant à la réussite scolaire, la proportion attribuée aux facteurs scolaires, en tant qu’éléments influençant la réussite, diminue.

Ainsi, la façon dont les parents perçoivent la légitimité et l’importance de l’école ainsi que les pratiques parentales mises en place à la maison viennent influencer les facteurs de réussite scolaire énoncés précédemment en ce sens que la disponibilité du matériel scolaire, l’achat de nouveau manuels, et le temps d’éducation peuvent être liés aux demandes des communautés locales.  Par ailleurs, les demandes des familles quant à l’éducation varient selon plusieurs facteurs : le sexe et l’âge de l’enfant, la religion, l’ethnicité, etc.

b) La capacité de l’organisation scolaire de répondre aux demandes des familles tout en offrant certaines formes de savoir qui sont éloignées du savoir traditionnel de la communauté :  « Indeed, when the school positions its curricula apart from the family, the school’s effect can operate more independently of parental influences. This relative positioning of school and family represents the second major institutional condition under which school effects are more likely to occur» (p. 138)

c) Les préférences et habiletés de l’enseignant quant à la mobilisation de différents outils d’enseignement et de normes sociales : Dans une majorité de pays en voie de développement, les recherches qualitatives démontrent que l’autorité de l’enseignant est très importante et les discussions latérales entre les élèves sont peu fréquentes. Lorsque l’enseignant décide d’adopter une pédagogie plus participative cela n’apporte pas nécessairement un gain quant à la réussite scolaire des élèves. Par exemple, aux Philippines, la réussite scolaire est moindre dans les classes où l’enseignant emploie une pédagogie plus active et participative (Lockheed et Zhao, 1993). Pourtant, d’autres recherches effectuées dans d’autres pays rapportent des effets positifs à une telle pédagogie.

d) Le degré de concordance entre  le comportement pédagogique de l’enseignant et les normes locales en ce qui concerne l’autorité, l’instruction et la participation sociale au sein de l’école : Le type de pédagogie à employer pour favoriser la réussite scolaire peut différer d’une culture à une autre selon les normes sociales véhiculées concernant : l’autorité de l’enseignant, la participation scolaire des élèves (interactions avec l’enseignant et avec les autres élèves), les différents types de travaux scolaires et l’organisation du travail (travail individuel ou en équipe, outils pédagogiques, etc.).

Ainsi, en ce qui concerne l’autorité de l’enseignant, on peut constater que dans plusieurs sociétés traditionnelles, l’enseignant exerce son rôle en exhibant son savoir et en présentant des connaissances factuelles. L’accent est souvent mis sur l’apprentissage par cœur, plutôt que sur la compréhension de différents concepts par les élèves.

Les auteurs soutiennent que l’impact de certains matériels scolaires ou méthodes d’enseignement peut varier considérablement selon la culture du milieu dans lequel ses facteurs sont mis en place.

 Conclusion

L’approche politique (policy mechanics) a grandement contribué à une meilleure connaissance des différents facteurs pouvant améliorer l’efficacité scolaire au sein des institutions d’éducation. De même, les chercheurs notent également à quel point les pratiques d’enseignement diffèrent selon les sociétés et les communautés locales et tentent, de plus en plus, de tenir compte de ces différences dans le cadre de leurs recherches. Pour l’avenir, il faudra donc cerner comment les nouveaux outils et les nouvelles pratiques sont intégrés culturellement et comment ils sont compris par les enseignants et par les élèves afin de s’assurer qu’ils permettent de mettre en place des formes d’apprentissage et de socialisation qui conviennent aux décideurs en éducation ainsi qu’aux communautés locales.

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