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21 juin 2016

NOTE SUR LE PROCESSUS DU TRAVAIL ENSEIGNANT

3- LE PROCESSUS DU TRAVAIL ENSEIGNANT

Analyser le travail enseignant ne doit pas se faire seulement sous l’angle des structures et des contraintes inhérentes à l’organisation mais doit aussi inclure un regard plus rapproché qui tient compte des processus interactifs de réalisation même de la tâche dans l’action.

3.1 Les objectifs scolaires

Ils sont généraux, imprécis, ouverts et non opératoires. Ils sont nombreux et variés en nature. Ils demandent à être interprétés. Les objectifs doivent être transformés et ajustés. Cela n’est pas sans conséquences sur le travail enseignant.

-     les objectifs définissent une tâche collective, complexe, temporelle aux effets incertains et ambigus;
-     les enseignants fonctionnent donc sur la base de finalités qui exigent d’eux qu’ils fassent des choix, qu’ils prennent des décisions;
-   La tâche s’en trouve alourdie car il faut prêter attention à de multiples finalités en même temps et interpréter ces finalités.

L’enseignant est donc obligé de se livrer à un travail herméneutique d’interprétation des finalités.

3.2 Les résultats du travail enseignant

Les résultats du travail enseignant se caractérisent par l’indétermination (on ne sait pas quel sera exactement le résultat). Le produit de l’enseignement apparaît intangible (on n’en voit pas complètement de produit fini).

3.3 Les programmes

Les programmes sont lourds, ils sont à la fois une contrainte dans l’action et une ressource pour agir. Le travail enseignant peut être vu comme une sorte de négociation perpétuelle entre l’idéal du programme et la réalité de la classe. L’organisation cellulaire du travail fait en sorte que les enseignants disposent d’une certaine autonomie face aux programmes. L’organisation des programmes se traduit par une hiérarchisation des matières et des enseignants qui les enseignent.

3.4 L’interprétation des finalités, des objectifs et des programmes par l’enseignant

Ce travail d’interprétation est influencé par :

-          l’expérience d’enseignement;
-          la connaissance du programme;
-          la connaissance de la matière;
-          la nature des groupes d’élèves;
-          la culture organisationnelle de l’école;
-          les ressources disponibles (pas seulement monétaires).

Devant les finalités, les objectifs et les programmes l’enseignant n’a d’autre choix que de «routiniser» sa pratique tout en étant capable d’improviser. Routinisation et improvisation sont donc deux exigences propres à la situation de travail de l’enseignant.

3.5 Conséquences de ce qui précède pour le travail enseignant

-          écart important entre la tâche prescrite et la tâche réelle;
-          autonomie du professionnel comme interprète des programmes;
-         l’analyse et l’interprétation des programmes sont deux tâches artisanales faites par chaque enseignant;
-          les programmes ne sont pas des outils neutres et objectifs mais plutôt porteurs de visions de la connaissance et l’apprentissage devant lesquelles l’enseignant doit se situer en choisissant des modèles cognitifs du savoir et de l’apprentissage.

3.6 La relation de l’enseignant à son objet de travail

Le travail enseignant est un travail sur l’humain. Il se distingue à la fois du travail sur la matière et de celui sur les symboles. Travailler sur de l’humain c’est nécessairement travailler non seulement avec ce qu’on est (la personnalité devient une technique de travail) mais c’est aussi obligatoirement courtiser le consentement, le persuader de la justesse de notre action pour qu’il y participe. En outre, pour l’enseignement se pose la question du travail auprès d’un collectif. Travailler auprès d’un collectif pose deux types de problèmes :

-          celui de l’équité du traitement;
-          celui du contrôle du groupe.

La nature de l’objet du travail enseignant conditionne la nature du travail enseignant. De plus, le contexte actuel influe aussi sur le métier qui ne plus compter comme autrefois sur des autorités et des valeurs clairement établies. En outre, enseigner apparaît comme un travail émotionnel où le rapport aux élèves est central. En fait, ce rapport est de nature affective, il est le moteur de la motivation des enseignants. Cette relation aux élèves est extrêmement exigeante car elle se fait en direct et comporte une forte charge éthique (au sens où elle repose sur un idéal de service).

Le métier d’enseignant est traversé de tensions et de dilemmes. Il semble même, aux dires de bien des praticiens, que le contexte d’exercice qui prévaut actuellement soit de plus en plus ardu qu’auparavant :

-          élèves plus difficiles;
-          clientèles plus hétérogènes;
-          plus d’élèves en difficulté d’apprentissage;
-          indétermination des rôles de l’enseignant.

Les dilemmes de l’enseignement renvoient à des enjeux (Perrenoud, 1996) :

1) Enjeu : autour de la prise de parole et du silence.
Dilemme : Comment contrôler la prise de parole sans stériliser les échanges, tuer la spontanéité, le plaisir?
2) Enjeu : autour de la justice.
Dilemme : Comment ménager une certaine équité sans blesser les uns et faire violence aux autres, sans interférer avec les règles du jeu social?
3) Enjeu : autour de la norme langagière.
Dilemme : Comment respecter les formes de la communication et de la langue sans réduire les élèves au silence ou aux banalités prudentes?
4) Enjeu : autour du mensonge.
Dilemme : Comment valoriser l'expression ouverte et honnête des idées et des sentiments sans dénier aux élèves le droit d'être des acteurs donc parfois de dissimuler et d'enjoliver?
5) Enjeu : autour de la sphère privée.
Dilemme : Comment faire entrer la vie dans l'école sans attenter à la sphère intime des élèves et des familles ? Comment traiter l'élève comme une personne et l'impliquer  dans des activités qui ont du sens pour lui sans l'exposer?
6) Enjeu : autour du conflit.
Dilemme : Comment ne pas aseptiser la communication, la vider de toute référence à la vie et ses contradictions, aux conflits sociaux, sans mettre les élèves et les enseignants en danger?
7) Enjeu : autour du pouvoir pédagogique.
Dilemme : Comment ne pas «euphémiser» la part du pouvoir dans la communication sans mettre en cause l'autorité du maître ? Comment donner des outils d'analyse et de négociation sans en être la première cible ?
8) Enjeu : autour du bavardage.
Dilemme : Comment impliquer les élèves dans le projet principal sans les priver du droit de bavarder ? Comment trouver l'équilibre entre le contrôle tatillon des propos et l'explosion des conversations particulières ?
9) Enjeu : autour de l'erreur, de la rigueur et de l'objectivité.
Dilemme : Comment faire une place aux représentations des apprenants sans mettre en circulation des théories fausses et leur donner crédit ? Comment autoriser chacun à dire ce qu'il croit sans tomber dans le relativisme ou l'obscurantisme ? Comment travailler avec l'erreur sans la légitimer?
10) Enjeu : autour de l'efficacité et du temps didactique.
Dilemme : Comment laisser un espace à la construction interactive des savoirs sans que la conversation aille <> ? Comment ne pas canaliser complètement la communication didactique sans perdre pour autant tout fil conducteur?
11) Enjeu : autour de la métacommunication et du sens.
Dilemme : Comment faire une place à la métacommunication et à la recherche de sens sans déstabiliser le groupe-classe et se trouver en porte-à-faux par rapport aux attentes de l'institution?

Cette situation est probablement accentuée par le contexte actuel.

Ainsi, autrefois, il n’y avait pas de séparation entre :

·         l’éducation aux savoirs;
·         l’éducation du citoyen;
·         l’éducation à l’esthétique;
·         l’éducation du sujet.

Éduquer à l’une c’était aussi du même souffle éduquer à l’autre.

Aujourd’hui, à l’image des savoirs éclatés et des logiques d’action plurielles que l’on observe dans nos sociétés, l’école n’est plus en mesure d’amalgamer ces 4 types d’éducation.

La recomposition semble impossible. Dans un sens, on peut dire qu’il n’y a plus une éducation mais plutôt des éducations simultanées et parallèles quand ce n’est pas concurrentes.

Cela est probablement encore accentué par ce qu’on peut appeler la crise du professionnalisme. Celle-ci  prend différentes formes :

-          crise de l’expertise;
-          crise de la formation professionnelle;
-          crise du pouvoir des professions;
-          crise de l’éthique professionnelle.

Par conséquent on peut dire que le rapport de l’enseignant à son objet de travail (les élèves) se caractérise de la manière suivante :

a)   la relation enseignant / élève est tout autant enrichissante que frustrante;
b)   il n’existe pas de relation typique, uniforme et universelle des enseignants à leurs objets (les élèves);
c)   la relation des enseignants aux élèves est marquée d’une tension au sens où elle la principale source de satisfaction tout en étant la principale source de difficultés;
d)   la relation aux élèves (à l’objet de travail) est aussi source de découverte de soi comme personne et comme professionnel;
e)   la relation aux élèves véhicule des problèmes et des dilemmes qui, souvent, n’ont pas de solution simple et infaillible;
f)    la relation aux élèves ne de déroulement pas dans un vide social et culturel, au contraire l’environnement social et culturel influence le contexte scolaire.

Étant donné la nature de l’objet du travail enseignant (des êtres humains), l’enseignement ne peut être réduit à une relation instrumentale de type Moyen / Fin. En réalité, les interactions en classe sont régies par des finalités diverses. Ainsi, en tant que travail hétérogène, l’enseignement donne lieu à des actions effectuées en fonction, par exemple, de buts, de normes, de traditions, d’affects, etc. Également, toujours en fonction de nature de l’objet de travail, l’enseignement comporte une très forte dimension langagière.

Plus précisément, la communication (pas seulement langagière d’ailleurs) n’apparaît pas en enseignement comme étant une dimension qui surplombe l’action éducative. On pourrait plutôt dire que la communication est l’action éducative. En effet, enseigner c’est entrer en relation avec des élèves par le biais de la communication (et dans celle-ci principalement la communication langagière).

L’objet humain du travail enseignant détermine les caractéristiques de la tâche à accomplir. L’enseignant est en face d’un objet qui est à la fois individuel et social, hétérogène, actif et capable de résistance. Dans ce cas, la relation du travailleur à son objet sera faite de rapports multidimensionnels (professionnels, personnels, juridiques, émotionnels, normatifs, etc.) et va requérir la collaboration de ce dernier. Il en découle que, même dans une situation de travail idéal, l’enseignant ne peut jamais bénéficier d’un contrôle absolu sur son objet.

Face à un tel type de rapport à l’objet, le travailleur interactif qu’est l’enseignant dispose d’une technologie de travail qui se caractérise comme suit :

-          elle est basée sur les sciences humaines et le sens commun;
-          elle est composée de savoirs peu formalisés, pluriels et changeants;
-          elle ne permet qu’un faible contrôle sur l’objet.

Les enseignants sont donc obligés de bricoler et d’improviser leurs outils. Il n’y a pas ici de «one best way». Chacun construit son style d’enseignement, ses savoirs et ses compétences propres en fonction de ses expériences de travail et de sa personnalité.

On peut repérer trois grandes technologies dans l’interaction éducative :

-          la coercition (elle peut être réelle, voire physique, ou symbolique);
-          l’autorité (traditionnelle, charismatique, rationnelle);
-          la persuasion (la séduction, la ruse).

Ce qui vient d’être exposé explique pourquoi il est impossible en enseignant de travailler en faisant abstraction de notre personnalité. Tout notre être est impliqué dans l’enseignement. Ce faisant, c’est travail qui peut ne pas avoir de limite car on peut toujours s’impliquer plus, s’investir d’avantage, jusqu’à en faire un «burnout» parfois. On peut ajouter que contrairement à bien d’autres activités professionnelles, on ne fait pas seulement que penser à son travail quand on est enseignant, on le porte véritablement en soi car la pensée (celle de l’enseignant) est ce qui constitue en bonne partie le travail.

Par conséquent, la dimension éthique n’est pas périphérique en enseignement. Elle est plutôt au cœur même de l’activité professionnelle.

Il est possible ici d’identifier cinq grands types d’éthiques :

-   éthique de la relation au savoir (qui peut prendre la forme d’une mise à jour de ses connaissances en éducation notamment à travers la formation continue);
-      éthique de la relation pédagogique (qui prend la forme du rapport enseignant-élève);
-      éthique du service public (qui renvoie à la fonction sociale de l'école);
-  éthique de la collégialité éducative (qui se manifeste sous dans le professionnalisme collectif);
-     éthique professionnelle au sens légal du terme (il s’agit ici du code de déontologie).

Certaines conséquences découlent de ce qui précède. D’abord, l’enseignement est un travail où la régulation se fait difficilement. La régulation est possible lorsqu’on est en mesure d’évaluer les effets de ses actions. Or, l’évaluation de l’action est très difficile en enseignement en raison de la nature de “l’objet” sur lequel on travaille (l’élève) et de la nature du produit (essentiellement l’apprentissage). De plus, le métier se caractérise par une constante hésitation entre tout prévoir et s’adapter à la pièce. Enfin, le métier est aussi tiraillé entre les dimensions de conception et d’exécution.

3.7 La pédagogie

De manière générale la technologie dont dispose l’enseignant, nous l’appelons ici la pédagogie. Prenons donc quelques moments pour définir ce que nous entendons par ce terme en étant certain qu’il s’agit là d’une définition qui ne saurait rallier tous les lecteurs.

3.7.1 La pédagogie a une origine datable dans l'histoire

À la suite de Gauthier (1993), nous faisons la supposition que la pédagogie apparaît réellement au dix-septième siècle. En effet, c'est à ce moment que les problèmes scolaires conduisent à une codification des façons de faire l'école (qui deviendra tradition). Il apparaît donc que dès ses débuts, la pédagogie comporte une préoccupation pragmatique liée à une activité de mise en ordre d'un collectif (les élèves) et un souci de formation des futurs enseignants (recueillir le savoir des praticiens afin qu'il ne se perde pas et puisse servir aux nouveaux enseignants). 

3.7.2 Il y a une situation pédagogique fondamentale

Cette situation pédagogique fondamentale met en scène un enseignant en rapport obligatoire avec un groupe d'enfants dans le but de transmettre une tradition culturelle. La pédagogie est un travail qui porte sur l'humain en collectif (un auditoire). Cet aspect lui confère une dimension rhétorique et interactive.

3.7.3  La pédagogie a une histoire

La pédagogie, parce qu'elle s'est constituée depuis le dix-septième siècle, offre au praticien et au chercheur le visage d'une discipline dont les savoirs se sont construits au fil d'une histoire particulière. Il y a donc une historicité des savoirs sur la façon d'enseigner : par exemple de la pédagogie traditionnelle à la nouvelle pédagogie. Dans l'esprit de l'herméneutique, histoire et tradition forment une culture commune compréhensible et qu’il est possible de dépasser.

3.7.4 La pédagogie a une identité

La pédagogie a une identité qui lui est propre bien que cette discipline éprouve visiblement des difficultés à se dire et à se définir. La pédagogie n'est pas une science et n'est pas un art. Elle est beaucoup plus discours d'ordre en vue d'une activité précise : l'éducation et l'instruction. Ce discours, relevant de la raison pratique, repose, non pas uniquement mais en grande partie, sur l'interprétation et l'argumentation.

3.7.5 Il faut chercher à fonder la pédagogie autrement que sur la tradition ou sur la science

Pourquoi ? Parce que d'une part, la tradition finit toujours par ne plus correspondre à la réalité et, d'autre part, les pédagogues font appel à des savoirs qui ne sont pas uniquement — principalement — scientifiques. En conséquence, la pédagogie apparaît comme une activité langagière argumentative qui se sert à la fois de la tradition et de la science — mais aussi de bien d'autres types de savoirs — pour nourrir le jugement. Les savoirs du pédagogue sont pluriels et sa rationalité ne se limite pas à la rationalité scientifique.

3.7.6 La pédagogie met en scène une technique aux modulations infinies : la séduction

La pédagogie s'inscrit dans un rapport à l'autre. Ce rapport à l'autre s'actualise dans un but précis : l'apprentissage. Comme l'autre ne partage pas obligatoirement le même but, la pédagogie cherche donc à le contrôler. Pour assurer ce contrôle, elle doit ruser, séduire, afin de gagner la joute de l'apprentissage. Parler de ruse et de séduction c'est parler de persuasion. Or, il s'agit là d'éléments qui commandent un encadrement éthique. La pédagogie comportera donc une forte dimension éthique.

3.7.7 La pédagogie appelle une écriture qui lui est propre

La pédagogie exerce une action qui modifie l'autre dans un sens précis. Cette modification n'est possible que dans la mesure où elle réussit à persuader l'autre que le but qu'elle poursuit (l'apprentissage d'un contenu culturel particulier) s'avère légitime. Pour ce faire, elle doit déployer des arguments qui dépassent la logique : elle nécessite un travail sur la manière de dire, sur la façon d'organiser le récit. Par le fait même, la pédagogie est une activité discursive rhétorique. Cette thèse portant sur la pédagogie, elle fait donc appel à la rhétorique et à l'argumentation.

3.7.8 La pédagogie est une affaire de jugement

L'activité éducative est d'une extrême complexité car elle se réalise dans un contexte mouvant. Elle ne peut donc être saisie totalement par la tradition et la science. C'est pourquoi, face au contingent, le pédagogue se doit d'exercer son jugement. Or, le jugement ne s'enseigne pas, ne s'apprend pas, mais il s'exerce. L'exercice de ce jugement peut constituer une jurisprudence : une mise en ordre du savoir d'expérience. Par conséquent, le jugement pourrait nourrir un savoir et se nourrir de lui.

3.7.9 La pédagogie présuppose la culture

Si le jugement ne s'apprend pas, il peut tout de même être soutenu. Ce sera justement là le rôle de la culture. En effet, cette dernière permet de s'alimenter en connaissances en vue d'une action. La culture du pédagogue sera constituée bien sûr de ce qu'on appelle la culture générale mais aussi des savoirs propres à son champ d'activité : savoirs professionnels, curriculaires, disciplinaires, d'expérience. Formaliser et diffuser le savoir d'action pédagogique c'est accroître la culture pédagogique et partant, celle des pédagogues eux-mêmes.

3.7.10 La pédagogie a un but

La pédagogie est une discipline principalement instrumentale qui cherche à accroître son efficacité afin que les élèves apprennent plus, plus vite et mieux. Elle est centrée sur l'action et prend tout son sens dans cette recherche de l'amélioration de la pratique d'enseignement en classe. La pédagogie fait donc appel à la praxéologie.

3.7.11 Vers une définition

 La pédagogie peut être conçue comme un discours et une pratique d'ordre en vue d'assurer l'instruction et de l'éducation des élèves dans la classe (Gauthier, 1993; Gauthier et al., 1997). Cette définition minimaliste contient cinq éléments qui permettent d'en baliser les contours.

D'abord, la pédagogie se déroule dans le contexte scolaire, c'est-à-dire à l'école et dans la classe, et non dans l'environnement familial.  Ce premier élément permet de distinguer la pédagogie de l'éducation au sens général. La pédagogie étant associée au contexte scolaire, ce dernier impose une kyrielle de contraintes spécifiques qui façonnent jusqu'à un certain point les comportements de l'enseignant.

En second lieu, parler de pédagogie c'est mettre en scène l'enseignant non seulement à travers ses actions mais aussi en fonction de ses attitudes et de ses idées; par conséquent, ce n'est pas s'intéresser a priori à l'“élève épistémique” (Develay, 1997) même si celui-ci fait évidemment partie des préoccupations de l'enseignant.

Troisièmement, le concept de pédagogie tel que nous l'envisageons implique un travail auprès d'un collectif d'élèves. Le souci pédagogique est véritablement apparu quand le maître a eu à gérer des groupes suffisamment nombreux pour l'empêcher d'enseigner comme il l'avait toujours fait, c'est-à-dire dans un rapport individuel de un à un (Gauthier, 1993, Gauthier et Tardif, 1996).

Quatrièmement, on admettra qu'aucun apprentissage ne peut émerger dans la désorganisation totale, le maître doit donc créer, construire, une certaine forme d'ordre dans sa classe (Gauthier 1993) pour que l'apprentissage advienne, ordre dont on peut analyser la nature, les mécanismes, les présupposés, la légitimation dans son discours et dans ses façons de faire (Martineau, 1997).  On notera qu'il ne s'agit pas de l'ordre au sens abusif du terme mais plutôt d'une certaine forme d'ordre pour que, dans le cadre d'un travail en collectif comme celui de la classe, des apprentissages (au sens d'instruction et d'éducation) puissent se réaliser.

Enfin, en cinquième lieu, le travail de l'enseignant a pour finalité l'instruction et l'éducation des élèves.  Instruction en rapport à certains contenus culturels et éducation au regard de certaines finalités estimées souhaitables par la société. 

La pédagogie est donc une pratique et un discours reliés d'abord et avant tout au travail de l'enseignant dans la classe. En ce sens, elle est donc plus qu'une discipline de relations humaines issue de l'engouement provoqué par la psychologie humaniste de la fin des années soixante.  Contrairement à ce que plusieurs didacticiens soutiennent, la pédagogie se préoccupe également des contenus à enseigner mais sans s'y réduire cependant et tout en situant ce souci dans le réseau concret des contraintes de travail de l'enseignant, c'est-à-dire instruire et éduquer un collectif d'élèves dans un temps et un espace donné. 

En somme, la pédagogie - c'est-à-dire la mise en oeuvre de certains moyens afin d'atteindre des finalités d'instruction et d'éducation à l'école - sera tributaire de l'environnement de travail. De ce fait, si l'on veut comprendre quelque chose à la pédagogie, il s'avère désormais "nécessaire de l'articuler aux autres composantes du processus du travail enseignant" (Tardif, 1996, p. 5). Si on nous permet un raccourci, on pourrait dire que la pédagogie tente d'agencer les diverses composantes du travail enseignant. Elle a donc à voir avec les buts, l'objet, les résultats, les techniques et les savoirs correspondants à ce travail. Or, lorsqu'on y regarde de près, le dénominateur commun de ces composantes est l'action sur et auprès d'un collectif d'élèves. Ainsi, bien que personne ne puisse apprendre à la place d'un autre et que l'apprentissage soit toujours en dernière analyse une question individuelle, il est indéniable que les buts de l'institution scolaire sont l'éducation et l'instruction de l'ensemble des élèves et non d'un seul d'entre eux. En ce cas, et comme l'enseignant - à l'image de tout travailleur - doit répondre aux attentes de l'institution pour lequel il oeuvre, les buts poursuivis par celui-ci ne peuvent qu'avoir une visée collective. Il en va de même en ce qui concerne l'objet de l'enseignement, ici les élèves. L'organisation du travail dans les écoles place l'enseignant devant un groupe et non pas devant un seul individu. Ce sera également au regard du groupe que l'on jugera des résultats du travail de l'enseignant : est-il capable de "tenir sa classe" ? ses élèves réussissent-ils bien aux examens provinciaux ? Par conséquent, une bonne partie des techniques et des savoirs des enseignants seront orientés vers "la gestion" du collectif d'élèves tant en ce qui concerne leurs apprentissages que leur conduite.

3.8 L’émergence d’un nouveau paradigme en pédagogie

Dans les années '90, J. Tardif (1997), en accord avec une vaste proportion de chercheurs en sciences de l’éducation a émis l’hypothèse que nous serions entrés dans une période de changement de paradigme. Selon lui, nous assisterions actuellement au passage du paradigme de l’enseignement au paradigme de l’apprentissage. Ce nouveau paradigme se caractériserait notamment par le partage de plusieurs consensus au sujet des responsabilités des enseignants, de la dynamique de l’apprentissage et de la probabilité de son utilisation.

3.8.1 À propos des responsabilités des praticiens

consensus 1 :
Les enseignants assument une part importante dans la motivation des élèves.

consensus 2 :
Les enseignants exercent une grande influence sur les stratégies d’apprentissage et sur les stratégies d’étude des élèves.

consensus 3 :
Les enseignants doivent intervenir de manière fréquente, systématique et rigoureuse pour favoriser le transfert des apprentissages chez les élèves.

3.8.2 À propos de la dynamique cognitive et affective de l’apprentissage

consensus 4 :
L’apprentissage est conçu essentiellement comme une construction personnelle résultant d’un engagement actif.

consensus 5 :
La construction personnelle des connaissances repose fondamentalement sur les connaissances antérieures de l’élève.

consensus 6 :
L’apprentissage porte inévitablement la marque du contexte initiale d’acquisition.

consensus 7 :
L’apprentissage tire sa signification du fait : a) qu’il présente un défi pour l’élève; b) qu’il résulte d’un conflit cognitif; c) qu’il permet l’atteinte d’un nouvel équilibre et d) qu’il est viable sur les plans de la compréhension et de l’action en dehors de la classe.

3.8.3 À propos de la probabilité de réutilisation adéquate des apprentissages

consensus 8 :
Les connaissances sont d’autant plus réutilisables fonctionnellement qu’elles sont organisées hiérarchiquement dans la mémoire de l’apprenant.

consensus 9 :
Les connaissances sont d’autant plus réutilisables fonctionnellement qu’elles sont mises en relation avec des stratégies cognitives et que leur utilisation est gérée par des stratégies métacognitives.

3.9 L’identité professionnelle

Cette présentation du travail enseignant débouche inévitablement sur une interrogation profonde quant à l’identité professionnelle des praticiens de nos écoles. Nous proposons ci-après un cadre de référence et nous développons une brève problématique de cette question.

4- LA QUESTION DES SAVOIRS PROFESSIONNELS

Les savoirs que développent les enseignants s’alimentent à différentes sources :

-          les sciences de l’éducation;
-          les savoirs des disciplines académiques;
-          les programmes scolaires;
-          la tradition pédagogique;
-          la culture en général;
-          l’histoire personnelle de sujet;
-          les expériences personnelles du travailleur.
  
On peut risquer une typologie qui comme toutes celles qui existent, comporte des lacunes et peut être perfectible. Son usage se veut ici heuristique.

4.1 Le savoir de la tradition pédagogique.

Une tradition pédagogique s'est mise en place à compter du XVIIe siècle (Gauthier, 1993).  En fait, dès ce moment une façon nouvelle de faire l'école se structure.  Le maître cesse de faire l'école au singulier, c'est-à-dire d'enseigner en recevant les élèves à tour de rôle au bureau.  Désormais, il pratique davantage l'enseignement simultané en s'adressant à l'ensemble des élèves en même temps.  Un tout nouvel ordre pédagogique se répand par la suite sous l'impulsion, entre autres, des communautés religieuses, Frères des écoles chrétiennes et Jésuites, etc.  Cette manière de faire la classe finit bientôt par se cristalliser en ce qu'on pourrait appeler une tradition pédagogique. Cette dernière s'est rendue jusqu'à nous et habite encore non seulement nos souvenirs d'enfance mais aussi une bonne part du quotidien des écoles actuelles.  Cette tradition pédagogique est le savoir-faire l'école qui transparaît dans une sorte d'entre-deux de la conscience. Cette représentation du métier, beaucoup plus robuste qu'on peut le croire à première vue, à défaut d'être dévoilée et critiquée, sert de matrice pour guider les comportements des enseignants.

4.2 Le savoir d'expérience.

Au-delà du savoir de la tradition pédagogique qui habite dans tout enseignant avant même qu'il débute dans son métier, il y a une autre forme de savoir qui est acquis dans l'expérience quotidienne d'enseignement dans sa classe.  À chaque jour l'enseignant se constitue une sorte de jurisprudence faite d'astuces, de stratagèmes et de manières de faire dont il éprouve progressivement la validité.  Cependant, bien que l'enseignant vive un tas d'expériences dont il tire grand profit, celles-ci demeurent malheureusement confinées au secret de sa classe.  Il juge en privé et sa jurisprudence demeure secrète.  Son jugement et les raisons qui le sous-tendent ne sont jamais connus ni testés publiquement.  En ce sens, un enseignant peut avoir de l'expérience mais les explications qu'il donne pour justifier son action peuvent être erronées.  L'enseignant peut croire que c'est parce qu'il pose tel geste que les élèves apprennent alors qu'en réalité cela peut bien être autre chose. La limite du savoir d'expérience est précisément d'être faite de présupposés et d'arguments qui ne sont pas vérifiés à l'aide de méthodologies scientifiques.

4.3 Le savoir d'action pédagogique.

Il s’agit du savoir produit par la recherche en enseignement. Le savoir d'action pédagogique est en quelque sorte le savoir d'expérience des enseignants rendu public et passé au crible de la preuve par la recherche qui se déroule en classe.  Les jugements des enseignants et les motifs qui les sous-tendent peuvent être comparés, évalués et soupesés afin d'établir des règles d'action qui seront connues et apprises par d'autres enseignants. Les savoirs d'action pédagogique validés par la recherche sont actuellement le type de savoirs le moins développé dans le réservoir des savoirs de l'enseignant.

4.4 Le savoir des sciences de l'éducation.

Tout enseignant a acquis dans sa formation ou à l'intérieur de son travail certaines connaissances professionnelles qui ne l'aident pas directement à enseigner mais l'informent au sujet de plusieurs facettes reliées à son métier ou à l'éducation en général.   Par exemple, l'enseignant possède des notions au sujet du système scolaire, il sait ce qu'est un comité d'école, un syndicat, un régime pédagogique.  Il a peut-être aussi une idée de l'évolution de sa profession, il maîtrise certaines notions sur le développement de l'enfant, sur les classes sociales, sur les stéréotypes, sur la violence chez les jeunes, sur la diversité culturelle, etc. Bref, il est en possession d'un corpus de savoirs au sujet de l'école qui est inconnu de la plupart des citoyens ordinaires et des membres des autres professions.  C'est un savoir professionnel spécifique qui ne concerne pas directement l'action pédagogique mais lui sert, comme aux autres membres de son métier socialisés de la même manière, de toile de fond.  Ce type de savoirs traverse et tapisse la façon de l'enseignant d'exister professionnellement et constitue une autre marque de différenciation sociale et professionnelle.

4.5 Le savoir disciplinaire.

Le savoir disciplinaire réfère aux savoirs produits par les chercheurs et savants dans les diverses disciplines scientifiques, à leur production de connaissances au sujet du monde.  L'enseignant ne produit pas du savoir disciplinaire à proprement parler mais, pour enseigner, il extrait du savoir de celui produit par ces chercheurs. En effet, enseigner nécessite une connaissance du contenu à transmettre puisqu'on ne peut évidemment enseigner quelque chose si on n'en maîtrise pas le contenu.

4.6 Le savoir curriculaire.

Une discipline n'est jamais enseignée telle quelle, elle fait l'objet de nombreuses transformations pour devenir un curriculum. En effet, l'école sélectionne et organise certains savoirs produits par les sciences et en fait un corpus qui sera enseigné dans les programmes scolaires.  Ces derniers sont produits par d'autres acteurs que les enseignants, souvent des fonctionnaires de l'État ou des spécialistes des diverses disciplines. L'enseignant connaît évidemment son programme qui constitue un autre savoir de son réservoir de connaissances.  C'est, en effet, le programme qui lui sert de guide pour planifier, évaluer, etc. Cependant, tout comme pour le savoir disciplinaire, il existe une littérature empirique qui examine la nature du savoir curriculaire des enseignants dans leur contexte réel d'enseignement ?  Quelles transformations au programme l'enseignant opère-t-il ?  Dans quel sens le savoir curriculaire exerce-t-il une influence sur la pratique enseignante et par conséquent sur l'apprentissage des élèves ?

Ce qu’il est important de retenir c’est qu’en lien avec ce qui a été dit plus haut, les savoirs professionnels sont marqués par la personnalité de l’enseignant. Celui-ci ne fait d’ailleurs pas que les utiliser, il les façonne et même dans certains cas, il les produit.

Le rapport des enseignants aux différents savoirs est aussi un rapport social aux différents porteurs de ces savoirs. En ce sens, les enseignants n’entretiennent pas un rapport purement épistémique avec les savoirs professionnels. Par conséquent, les jugements qu’ils portent sur les savoirs sont aussi des jugements sur ceux qui les produisent ou les véhiculent. La pluralité des sources de connaissances pose la question de son unification d’une part et, d’autre part, celle de sa hiérarchisation. À cet égard, les enseignants considèrent que le savoir d’expérience est le plus valable. Sa validité repose sur son utilité pragmatique dans l’exercice du métier. Le savoir d’expérience sert en outre à juger de la valeur des autres savoirs. Ce savoir d’expérience s’alimente à trois sources :

-          la personne de l’enseignant;
-          la carrière professionnelle;
-          la pratique au travail.

À travers les expériences de la carrière, l’enseignant apprend son métier, maîtrise donc graduellement la situation, développe une identité professionnelle, apprend à se connaître comme personne et comme professionnel, prend une distance critique face aux connaissances acquises antérieurement, adhère graduellement à la culture professionnelle.

Le savoir d’expérience des enseignants est un “savoir ouvragé” c’est-à-dire qu’il est lié aux tâches de travail, mobilisé dans la pratique et acquis dans l’action à l’école en général et dans la classe en particulier. C’est un “savoir pratique”, en ceci que son utilisation est fonction de son adéquation aux tâches concrètes que requiert l’enseignement, aux problèmes que l’enseignant rencontre et aux situations qu’il vit. C’est aussi un “savoir interactif” en ce sens qu’il est mobilisé et façonné dans le cadre des interactions entre l’enseignant et les autres acteurs en éducation (élèves, collègues, membres de la direction, parents, etc.). Le savoir d’expérience est par ailleurs un “savoir syncrétique, pluriel et hétérogène” qui ne repose pas sur une base de connaissances unifiée et cohérente. Donc, c’est un savoir “faiblement formalisé” qui est moins connaissance sur le travail que connaissance au travail enseignant. Il peut aussi être qualifié de “complexe et non analytique”, c’est-à-dire qu’il imprègne tout autant les conduites du praticien que sa conscience discursive. C’est un savoir “ouvert, dynamique, personnalisé et existentiel” car il permet l’intégration d’expériences nouvelles, il se transforme en fonction de la socialisation au métier, il porte en outre la marque de la personnalité de l’enseignant et il est lié non seulement à l’expérience de travail mais également à l’histoire de vie du sujet. Enfin, le savoir d’expérience est un “savoir social” en ce sens qu’il conduit l’enseignant d’une part, à prendre position vis-à-vis les autres types de savoirs et ceux qui en sont les porteurs, et, d’autre part, à établir une hiérarchie des savoirs selon l’analyse du travail qu’il effectue (Tardif et Lessard, 1999).


RÉFÉRENCES
  • Gauthier, C. (1993). Tranches de savoir.  L'insoutenable légèreté de la pédagogie.  Montréal : Logiques.
  • Gauthier, C., Desbiens, J.-F., Malo, A., Martineau, S., Simard, D. (1997). Pour une théorie de la pédagogie. Recherches contemporaines sur le savoir des enseignants. Québec : Les Presses de l'Université Laval, collection Formation et Profession.
  • Martineau, S. (1997). De la base de connaissances en enseignement au savoir d’action pédagogique : construction d’un objet théorique. Thèse de doctorat. Faculté des sciences de l’éducation : Université Laval.
  • Perrenoud, P. (1996). Enseigner : agir dans l'urgence, décider dans l'incertitude. Paris. PUF.
  • Tardif, J. (1997). La construction des connaissances. 1. Les consensus. Pédagogie collégiale. vol. 11. no. 2. décembre. p. 14-19.
  • Tardif, M. (1996). Le travail enseignant au collégial et la question de la pédagogie : dérive bureaucratique ou enjeu d'une éthique professionnelle ? Actes du 16e colloque annuel de l'Association québécoise de pédagogie collégiale. Montréal : AQPC. section 5C3, p. 1-14.
  • Tardif, M., Lessard, C. (1999). Le travail enseignant au quotidien. Contribution à l’étude du travail dans les métiers et les professions d’interactions humaines. Québec : Les Presses de l’Université Laval.

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