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11 janvier 2017

Une identité professionnelle dans les remous

Au Québec, la formation initiale doit contribuer au développement de l’identité professionnelle des futurs enseignants (Goyette, 2014). Il s’agit d’un objectif complexe et pour lequel les formateurs ne sont pas nécessairement bien préparés et outillés. Or, pour être intelligible, cette problématique doit être replacée dans un cadre plus large que nous esquissons ci-après.
Pendant des siècles, l’enseignant a construit son identité professionnelle sur la base de sa qualification et de son affiliation à une institution. L’école lui conférait à la fois un rôle et un statut socialement reconnus de tous. Il n’en va plus de même aujourd’hui. En effet, les qualifications, les savoirs et les compétences nécessaires pour enseigner ne vont pas de soi, les classes sont désormais hétérogènes et les élèves ne respectent plus automatiquement l’autorité de l’enseignant incarnée dans son statut et ses compétences (Meirieu, 2008). Ainsi, il n’y a que quelques décennies encore, l’identité professionnelle des enseignants était relativement stable, car elle pouvait compter sur un contexte favorable, des manières traditionnelles de faire la classe, une population étudiante soigneusement sélectionnée et homogène, des valeurs et des normes communément partagées notamment au regard des savoirs valorisés et des règles d’autorité et, enfin, une formation essentiellement pratique (étroitement liée aux besoins et aux intérêts du métier) dispensée dans les écoles normales (Tardif, 2013). Tout cela n’est plus et nous vivons actuellement une période où, aux dires de plusieurs les professions vivent des remous continuels (Dubet, 2002).
Ces phases peuvent se présenter sous différentes formes : crise de l’expertise, crise de la formation professionnelle, crise du pouvoir des professions, crise de l’éthique professionnelle. Dans le cas de l’enseignement, les transformations prennent notamment la forme d'un vaste mouvement de réforme des programmes scolaires et de la formation initiale (mouvement qui a notamment remis à l’ordre du jour la question de la professionnalisation de l’enseignement). Ce que nous venons de dire laisse entrevoir que l’identité professionnelle ne peut plus compter sur des bases institutionnelles solides et permanentes pour se construire. Nous soutenons ici que les transformations en profondeur des institutions prennent racine dans une double crise, celle des savoirs (la raison) et celle des valeurs, car les institutions reposent sur ceux-ci (Martineau et Presseau, 2012, 2007, 2005). La crise de l’école laisse entrevoir une crise bien plus grave : la crise du savoir (de la raison). Alors que les sciences de l'homme voient se retourner contre elles l'appareil critique de leurs approches, les sciences de la nature ont vu peu à peu s'effriter le socle de leurs anciennes évidences. La crise des fondements en philosophie liée à la crise des fondements dans la connaissance scientifique mènent selon lui à une crise ontologique du réel. La science découvre peu à peu ses insuffisances. Avec l’effritement des savoirs philosophiques et scientifiques, l’ensemble des savoirs sociaux devient plus incertain ce qui fragilise grandement les institutions. À cette crise de la raison, se greffe une crise des institutions qui met à mal le sens du social et laisse l’acteur relativement solitaire devant l’obligation de donner du sens aux événements, aux phénomènes, aux faits, à son expérience.
Le portrait ci-haut esquissé laisse clairement entrevoir la difficulté que peut représenter le développement et l’évaluation de l’identité professionnelle en formation initiale des enseignants. Comment réussir à évaluer ce développement ? Sur la base de quels critères ? En prenant appui sur quels outils ? Quelles sont les pratiques évaluatives les plus utilisées? Autant de questions complexes auxquelles doivent faire face les formateurs d'enseignants et pour lesquelles les réponses ne sont pas (plus) évidentes et ni uniques.

Quelques références

Dubet, F. (2002). Le déclin de l’institution. Paris : Le seuil.

Goyette, N. (2014). Cultiver le bien-être lors de la formation initiale pour prévenir la détresse psychologique des enseignants en insertion professionnelle : de nouvelles perspectives à l’horizon. Formation et profession, 22(1), 72-74.

Martineau, S., Presseau, A. (2012). Le discours identitaire d’enseignants du secondaire : entre la crise et la nécessité de donner du sens à l’expérience. Revue Phronesis, Volume 1, Numéro 3, juillet 2012, p. 55-68.

Martineau, S., Presseau, A. (2007). Ce «mettre en mots» ou se bricoler une histoire pour qu’elle prenne sens : le discours identitaire d’enseignants du secondaire. Dans Identités professionnelles d’acteurs de l’enseignement. Regards croisés, sous la direction de Christiane Gohier, Québec, Presses de l’Université du Québec., p. 67-88.

Martineau, S., Presseau, A. (2005). L’identité professionnelle et l’entrée dans la carrière des professeurs : entre la crise des institutions et la nécessité de créer du sens. Actes 3e Colloque Questions de pédagogies dans l’enseignement supérieur : nouveaux contextes, nouvelles compétences, École Centrale de Lille, France, Lille. p. 13-18.

Meirieu, P. (2008). Pédagogie : le devoir de résister (2e éd.). Paris: ESF éditeur.

Tardif, M. (2013). La condition enseignante au Québec du XIXe au XXIe siècle. Une histoire cousue de fils rouges : précarité, injustice et déclin de l’école publique. Québec, Québec : Les Presses de l’Université Laval.

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