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13 février 2017

Parlons éducation

Qu’est-ce qu’un programme ?
Une des actions politiques les plus importantes sur la chose scolaire est l’élaboration des programmes. Cet objet, en tant que concept, a donné lieu à de nombreuses définitions. Notre propos n’est pas ici de clore le débat, loin de là, mais, plus modestement, de spécifier la conception qui est la nôtre.
Un programme est essentiellement un plan d’action didactique et pédagogique. Il est le résultat de délibérations sur ce qui est souhaitable d’enseigner pour chaque groupe d’âge. Concevoir les programmes scolaires comme le résultat de la délibération entre les acteurs sociaux (personnels politiques, fonctionnaires du ministère de l’éducation, enseignants, chercheurs universitaires, groupes de pression, mouvements citoyens, etc.) permet d’en faire ressortir la dimension politique ainsi que de les ancrer dans le contexte social, culturel et économique dans lequel ils prennent place.
Ajoutons que, dans notre conception, le programme comprend trois classes d’objets significatifs. Les objets sociaux qui comprennent tous les acteurs impliqués de prêt ou de loin par le programme. Les objets culturels qui renvoient aux contenus des programmes et aux modalités de leur enseignement. Les objets matériels qui réfèrent aux équipement et aux outils utiles à l’enseignement des programmes (par exemple, les manuels scolaires). Depover et Noël (2005), en parlant plutôt de curriculum que de programme (ce qui est plus englobant), présentent un découpage quelque peu différent illustré dans le tableau suivant.

Niveaux de décisions
Formulation
Supports de communication
Destinataires
Politique éducative (formelle)
Finalités
Déclarations d’intentions
Tous les citoyens
Gestion de l’éducation
Compétences générales
Référentiel de compétences ou de formation
Profil de sortie
Personnels administratifs, professionnels, enseignants
Réalisation quotidienne de l’action éducative (niveau technique)
Compétences spécifiques ou objectifs
Programme d’études
Enseignants

Tableau 1 représentant les trois niveaux de définition du curriculum, adapté de Depover et Noël (2005).

Ce qui doit surtout être retenu de ce qui précède c’est à la fois la complexité de l’objet et la nécessaire implication de plusieurs acteurs aux pouvoirs différents et asymétriques.
Élaborer un programme
L’élaboration d’un programme est un processus politique qui vise notamment à établir une norme en matière de connaissances (Forquin, 2008). Cette norme n’est que très imparfaitement basée sur des savoirs savants. Par ailleurs, au Québec, la démarche prise par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport pour élaborer les programmes scolaires a été passablement opaque. En fait, il ne semble pas exister de procédure systématique et validée président à la préparation d’un programme scolaire. Ainsi, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, les comités chargés d’élaborer les programmes travaillèrent dans une relative approximation à partir de consignes très générales. Ce flou a prévalu à la construction des programmes par compétences où les acteurs impliqués se sont simplement fait dire d’oublier les anciens programmes par objectifs et de ne pas reproduire ce qui se fait ailleurs (Laurin, 2004).
Politique et réforme éducative
Depuis l’amorce de la Révolution tranquille en 1960 avec l’élection du gouvernement du parti libéral dirigé par Jean Lesage, le Québec a connu une pléthore de politiques, de règlements, de réformes en éducation (Charland, 2005 ; Proulx, 2009) lesquelles ont profondément transformé les structures administratives, les programmes scolaires et la formation des enseignants et leurs conditions de travail (Lessard et Tardif, 1996 et 2003 ; Tardif et Lessard, 1999 ; Tardif, 2013). Rappelons ici quelques grandes dates. En 1964 débute les travaux de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la Province de Québec d’où sortira de fameux Rapport Parent publié en cinq tomes en 1966. Ce rapport sonnait le glas de l’ancien système d’éducation ce qui conduisit à la mise en place du système actuel (Després-Poirier, 1999 ; Lemieux, 1999). En 1975, fut publié le Livre blanc : L’École québécoise. Énoncé de politique et plan d’action. Il amorçait le passage des programmes – cadres (qui avaient vus le jour à la suite du Rapport Parent) lesquels accordaient une grande autonomie aux enseignants et aux commissions scolaires, à des programmes dits par objectifs, plus précis et détaillés, et encadrant davantage le travail des enseignants. Ce livre blanc mettait aussi de l’avant une volonté de «centralisation des programmes», appelait les enseignants et les parents à bâtir un projet éducatif spécifique pour leur école et recommandait l’instauration de politiques d’aide et d’éducation appropriées pour les élèves en difficulté et pour ceux issus de milieux défavorisés. Dans les années 1980, ce sont une trentaine de programmes par objectifs qui sont élaborés et implantés. En 1994, deux avis importants furent publiés : cela du Conseil supérieur de l’éducation Rénover le curriculum du primaire et du secondaire et le Rapport Corbo Préparer les jeunes au 21e siècle. Deux ans plus tard, en 1996, ce fut au tour du Rapport de la Commission des états généraux sur l’Éducation de voir le jour aboutissement d’une vaste consultation de la population. L’année suivante sous la gouverne de la ministre de l’éducation de l’époque, Pauline Marois, un document capital est publié : L’école, tout un programme : énoncé de politique éducative. Ce document amorce la vaste réforme des programmes scolaires qui seront structurés non plus autour d’objectifs mais de compétences. Cette réforme en profondeur commença d’abord au niveau primaire, à l’aube des années 2000 et se poursuivit en 2004 au secondaire avec la publication du Programme de formation de l’école québécoise pour le secondaire. Depuis ce temps, souvent à la suite de multiples controverses, de nombreux ajustements ont été faits à ce qui est devenu coutume de nomme « la réforme », ajustements qui n’ont pas uniquement portés sur les programmes scolaires mais ont touchés des aspects administratifs et pédagogiques.

On l’aura compris, l’éducation est une entreprise éminemment normative. C’est par le truchement des programmes et de la formation des enseignants que cette entreprise se concrétise. Dans le cas des programmes, ceux-ci mettent en scène tout un ensemble d’acteurs directement concernés par l’éducation (Laurin, 2004). Parmi eux, on compte bien entendu les chercheurs et formateurs universitaires (par conséquent, les didacticiens). Mais ces derniers ne sont pas au cœur du processus de réforme d’un programme. Au Québec c’est au ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport que revient la responsabilité de l’élaboration et de l’implantation des réformes. La dernière réforme majeure, celle réalisée autour du programme d’études de l’école québécoise et initiée au début des années 2000, a fait l’objet de nombreuses critiques non seulement en ce qui concerne les contenus des programmes mais aussi en ce qui a trait au processus d’implantation (Vincent, 2004). Ces critiques sont venues de partout, des médias, des syndicats d’enseignants, des associations professionnelles ou de parents, des universitaires. Or, force est de constater que le poids des didacticiens dans l’élaboration des programmes et le pilotage de leur implantation fut bien mimine.
En tant que résultat de négociation entre acteurs divers, les programmes ne relèvent que très partiellement de la logique scientifique qui prévaut chez les universitaires. On le sait, le projet des universitaires (par conséquent, des didacticiens) en est un de production de connaissances et de critique de la « réalité ». Dans le cas d’un programme scolaire, cette posture repose sur une capacité de distanciation par rapport à celui-ci. Les autres acteurs impliqués dans une réforme de programme ne répondent pas nécessairement (ou prioritairement) à cette logique. Ainsi, les enseignants se mobilisent surtout autour des enjeux de la réforme pour leurs pratiques professionnelles pendant que de son côté le projet de l’État est de répondre à une logique sociopolitique axée sur la cohérence et la cohésion du système (Vincent, 2004).
En fait, dès le début de la réforme des programmes au Québec, les universitaires se sont vus confinés à un rôle de second ordre (Vincent, 2004). Dans les circonstances, pas étonnant qu’il ait été souligné fréquemment que les programmes comportaient de nombreuses lacunes au plan de leurs assises scientifiques (Bissonnette, Richard, Gauthier, 2005).
Références
Bissonnette, S., Richard, M., Gauthier, C. (2005). Échec scolaire et réforme éducative. Quand les solutions proposées deviennent la source des problèmes. Québec : Les Presses de l’Université Laval.
Charland, J.-P. (2005). Histoire de l’éducation au Québec. De l’ombre du clocher à l’économie du savoir. Montréal : Erpi.

Depover, C. et Noël, B. (2005). Le curriculum et ses logiques. Une approche contextualisée pour analyser les réformes et les politiques éducatives. Paris : L’Harmattan.
Després-Poirier, M. (1999). Le système de l’éducation du Québec. 3e édition. Avec la collaboration de Philippe Dupuis. Montréal : Gaëtan Morin.

Forquin, J.-C. (2008). Sociologie du Curriculum. Rennes : Presses universitaires de Rennes, coll. « Paideia ».
Laurin, S. (2004). La dynamique de construction d’un programme. Le cas de la géographie au Québec (1998-2001). Dans P. Jonnaert et A. M’Batika (dir.) Les réformes curriculaires. Regards croisés, Québec : Presses de l’Université du Québec, p. 229-253.
Lemieux, A. (dir.). (1999). L’organisation de l’enseignement au Québec. Manuel de références pour la profession enseignante. Montréal : Éditions Nouvelles.

Lessard, C., Tardif, M. (2003). Les identités enseignantes. Analyse de facteurs de différenciation du corps enseignant québécois1960-1990. Sherbrooke : Éditions du CRP.

Lessard, C., Tardif, M. (1996). La profession enseignante au Québec 1945-1990. Histoire, structures, système. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal.

Proulx, J.-P. (2009). Le système éducatif du Québec. De la maternelle à l’université. Avec la collaboration de J.-P. Charland. Montréal : Chenelière.
Tardif, M. (2013). La condition enseignante au Québec du XIXe au XXIe siècle. Une histoire cousue de fils rouges. Précarité, injustice et déclin de l’école publique. Québec : Les Presses de l’Université Laval.

Tardif, M, Lessard, C. (1999). Le travail enseignant au quotidien. Contribution à l’étude du travail dans les métiers et les professions d’interactions humaines. Québec : Les Presses de l’Université Laval.


Vincent, S. (2004). Les discours sur la réforme éducative au Québec. Une mise en débat des postures spécifiques des différents acteurs concernés par les savoirs en éducation. Dans P. Jonnaert et A. M’Batika (dir.) Les réformes curriculaires. Regards croisés, Québec : Presses de l’Université du Québec, p. 201-227.

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